Chapitre 77

1.4K 181 6
                                    


Ce matin, quand j'arrive devant les portes de l'agence, je me sens mal. En perdant mon téléphone, j'ai aussi perdu ma carte d'accès. Et sans elle, je ne peux techniquement pas entrer dans l'immeuble. Je croise les doigts pour que Ed soit de bonne humeur.

Comme une enfant prise en faute, je me rapproche du comptoir derrière lequel il scrute les allers et venues de tous ceux qui franchissent les portes d'entrée. Notre cher Ed est un très bon gardien. Tellement à cheval sur sa tâche qu'il est difficile de passer outre les contrôles. Je m'accoude et lève des yeux de biche vers lui. Son sourire s'étire en me voyant.

- Bonjour Mademoiselle Muller. Que puis-je faire pour vous ?

- En fait, Ed, je suis très embêtée. J'ai perdu mon téléphone et mon badge était à l'intérieur.

Ses sourcils se froncent aussitôt. Il faut vite que je contrattaque avant qu'il ne se braque.

- Je sais ce que vous allez me dire, mais je vous en prie, il faut que j'aille bosser. Vous connaissez ma patronne, il n'appréciera pas que je ne sois pas là parce que je suis une tête en l'air. Et puis, je crois savoir où elle est et je passerai la récupérer ce soir en sortant du travail.

Sa bouche se déforme dans une mimique contrariée.

- Mademoiselle Muller, vous savez bien que les ordres sont les ordres...

- Oui, mais vous me connaissez. Je suis une employée modèle. Ne laissez pas une étourderie mettre en péril mon boulot.

Il semble prêt à céder.

- Si vous me laissez monter, je vous en serai éternellement reconnaissante. Vous serez mon sauveur.

Je bats exagérément des cils, comme le fait Jo quand elle veut obtenir quelque chose d'un homme. Et on dirait que ça fonctionne. Il soupire et me fait un signe de tête.

- Merci, merci.

Je me penche pour lui coller une bise sur la joue. Il en reste un peu bouche bée. Je n'en reviens pas moi-même de mon audace. Mais il faut avouer que c'est efficace. Je me précipite vers l'ascenseur avant qu'il ne change d'avis. Je suis soulagée d'avoir passé cet obstacle. Maintenant, je vais me concentrer sur mon travail. Ces derniers temps, j'étais plutôt en dent de scie et Mlle Madden commence à douter de mes capacités. Alors je vais redoubler d'efforts pour lui montrer que j'en vaux la peine.

A peine arrivée, je fais un passage éclair au distributeur de café et fonce vers mon box. Tout en avalant une gorgée de liquide brûlant, j'allume mon ordinateur et m'empresse de consulter les dossiers en cours que je dois boucler. Mon objectif est d'en finir un dans la journée pour lui prouver qu'elle peut toujours me faire confiance. Mes doigts volent sur le clavier, je consulte mes notes, fouille dans les dossiers. Je suis concentrée comme jamais. S'il y a bien un espace de ma vie que je peux contrôler, c'est celui-là. Ici, pas de Christian ou autre élément perturbateur. Juste moi et le boulot. J'entends à peine Max quand il me salue. Je lui fais juste un geste évasif de la main pour replonger le nez dans mes papiers.

Soudain, je perçois la jambe d'un homme qui s'assied sur le bord de mon bureau. Je me redresse, prête à le rembarrer. Mais les mots se bloquent dans ma gorge et je deviens livide. Appuyé nonchalamment sur mon espace de travail, le bras posé sur son genou, Jared agite, sous mon nez, mon téléphone.

- Je crois que tu as perdu ça.

Sa voix provoque un électrochoc, me renvoyant à ce coin sombre dans lequel il m'avait bloquée. Je réprime un frisson. Pas question de lui faire la joie de me voir terrorisée. J'attrape avec véhémence mon portable avant de lui balancer une réponse cinglante.

- Je n'ai rien perdu. Tu me l'as volé.

- Je l'ai récupéré par terre, à côté de notre table.

Son regard me transperce. Il joue la provocation, mais je ne le laisserai pas gagner.

- Qu'est-ce que tu viens faire ici ? et comment tu m'as trouvé ?

Il tapote l'objet du délit du bout de l'index.

- Ton badge à l'intérieur. C'était facile de te trouver. Surtout que...

- Monsieur Patton ?

Une voix féminine que je reconnais tout de suite vient interrompre notre échange. Jared me fixe encore quelques secondes avant de se détourner.

- Mademoiselle Madden ! Heureux de vous revoir.

Son ton est devenu mielleux et me donne la gerbe. Cette dernière marque un temps d'arrêt en voyant son visage. C'est vrai qu'il y a de quoi être choqué. Sous son œil gauche, une jolie balafre barre sa pommette et son menton est un camaïeu de bleus. Christian s'en est mieux tiré.

Feignant de ne rien remarquer, il se penche vers ma patronne pour lui faire la bise. Cette dernière semble apprécier l'attention car elle lui offre un grand sourire. C'est presque étrange de sa part, elle qui est plus froide que la glace.

- Appelle-moi Lilah. Nous nous connaissons assez pour laisser tomber les formalités.

- Dans ce cas, Lilah, appelle-moi Jared.

Leurs échanges me hérissent le poil. C'est tellement... faux. C'est à ce moment-là qu'elle se rappelle que j'existe.

- Vous vous connaissez ?

Je me crispe. Ça sent mauvais. Ils se connaissent et assez bien, il me semble. Mon altercation avec lui n'est pas bon pour mon matricule.

- J'ai trouvé son téléphone dans le couloir. J'ai reconnu votre logo alors je suis venu le lui rapporter.

Ah... ok... Il se la joue « on ne se connait pas ». Pourquoi ne lui a-t-il rien dit ?

- Un vrai gentleman, comme votre père.

Il lui prend la main et un dépose un baiser. Non mais beurk, c'est quoi ce léchage de bottes en règle ?

- Mais en vérité, c'est vous que je suis venue voir, Lilah. J'aurais besoin de vos services. Mon père m'a confié l'un de ses restaurants et je voudrais en changer un peu la déco pour qu'il soit à mon goût. Vous comprenez ?

- Oui, tout à fait. Et j'en serais ravie, mais en ce moment, je suis particulièrement débordée...

Ah ! Prends ça dans la gueule ! Si tu croyais pouvoir t'incruster ici, c'est râpé.

- Oh, je vois... dit-il, arborant une mine faussement déçue. C'est dommage. Je vais devoir m'adresser à quelqu'un d'autre.

Il affiche un air ennuyé et semble prêt à partir.

- Je suis tout de même content de vous avoir revue. Je vais vous laisser si vous êtes débordée. Bonne journée.

Mademoiselle Madden perd lentement de sa superbe. Elle est en train de perdre un client. Elle ne perd jamais aucun client. Son regard glisse rapidement de ma direction. Oh non ! Je sens le coup foireux arriver.

- Attendez ! J'ai peut-être une solution.

Jared fait volte-face, tout sourire. Le salopard ! Il avait prévu son coup.

- Mademoiselle Muller, ici présente, est l'une de nos meilleures collaboratrices. Peut-être pourrait-elle commencer le travail avec vous, le temps que je libère un créneau dans mon emploi du temps ?

Il se tourne vers moi, un sourire diabolique s'étalant sur son visage.

- C'est une excellente idée. Serait-elle disponible dès à présent ?

Il se fout de moi ? Je ne suis pas à son service. Qu'il aille se faire voir !

- Evidemment. Comment vous refuser quoi que ce soit ?    

Love TherapyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant