Chapitre 80

1.3K 168 7
                                    


Voilà deux heures qu'on fait le tour du restaurant, que je prends de mesures, que je note les demandes de Jared. Je suis un peu moins sur la défensive parce qu'il est devenu plus sérieux. Il me parle de ses projets, de ce qu'il veut de faire. Alors j'adopte une attitude professionnelle. Je préfère ça à ses tournures de phrases malsaines et son regard déstabilisant. Assise face à lui dans le bureau, je me sens plus à mon aise. Le carnet semble être un bon rempart.

- Doit-on aussi envisager un remaniement des cuisines ?

Il prend quelques secondes pour réfléchir.

- Ce n'était pas dans mes projets mais je vais consulter le responsable et je vous tiendrai au courant.

- Très bien, noté-je. Dernière question. C'est juste pour avoir une idée. Rien de définitif. Combien êtes-vous prêt à mettre dans ce projet ?

Son excès d'assurance refait surface.

- Tout ce qui sera nécessaire.

Je ne peux réprimer une moue désapprobatrice.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'aimes pas parler argent ?

- Qu'importe. Ce n'est pas mon rôle d'en parler. Il faudra voir cela avec Mlle Madden.

Il se penche par-dessus le bureau.

- Je me demande si je ne vais pas lui demander de te confier toute la gestion de ce chantier.

J'écarquille les yeux.

- Hors de question. Je...

Je ne peux pas passer plus de temps avec lui. Ça me tord déjà les boyaux d'être ici. En plus, Christian va voir rouge si jamais il apprend que je bosse pour son ex meilleur ami. Mon téléphone se met à vibrer, me donnant une raison d'éviter de perdre mes moyens devant lui. Je fouille dans mon sac et mets enfin la main dessus. Merde ! C'est Christian. J'ai complètement oublié de le rappeler. Sans réfléchir, je décroche.

- Allo.

- Michelle ? Enfin ! pourquoi ne m'as-tu pas répondu hier ? Tu es encore fâchée ?

- Non, bien sûr que non.

Jared fronce les sourcils mais je l'ignore en pivotant légèrement sur mon siège.

- Alors quoi ? Tu vas bien au moins ?

- Oui, oui, ne t'inquiète pas. En fait... je ne peux pas vraiment te parler là. Je suis avec... un client.

Ce dernier se met à ricaner, devinant sans doute le nom de mon interlocuteur. A l'autre bout du fil, Christian ne dit plus rien.

- On peut déjeuner ensemble pour en discuter, sort-il au bout de quelques secondes qui me parurent interminables.

- Déjeuner ? hé bien...

Jared tapote alors les papiers éparpillés sur la table et s'adresse à moi assez fort pour qu'on l'entende à l'autre bout du fil.

- Impossible, nous n'avons pas terminé. On mangera sur place.

Je cache le micro de mon téléphone avant de marmonner.

- Pas question. Il faut que j'aille lui parler ou il va se faire des films.

- Rien à foutre. C'est moi qui tu paies. Tu es à mon service. Alors tu restes.

Je le fusille du regard. Je peux difficilement le contredire, vu qu'en effet, par voie de conséquence, c'est lui mon employeur. Son sourire triomphal réapparait quand il comprend que je ne vais pas m'opposer à lui.

- Et passe le bonjour à Christian de ma part.

Je réprime une insulte et reprend ma conversation téléphonique.

- Ecoute, je suis bloquée pour la journée, mais ce soir, on peut aller au glacier où on s'était donné rendez-vous la dernière fois. Ça te va ?

Christian soupire de l'autre côté du combiné. Je m'en veux de lui cacher la vérité mais si je lui dis ça de but en blanc, il risque de venir me chercher et j'ai peur de ce qu'il pourrait faire.

- Ok, on se retrouve là-bas pour dix-huit heures.

- D'accord.

Je m'apprête à raccrocher avec regret quand il ajoute.

- Tu me manques.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

- Toi aussi. A ce soir. On profitera pour parler.

Mon pouce appuie sur la petite icone rouge et je sens mon estomac se tordre. J'espère qu'il comprendra. Je lève les yeux de mon appareil et tombe sur la mine satisfaite de Jared.

- Tu lui fais des cachotteries, Princesse ?

Je ne lui réponds pas et range mon téléphone.

- Très bien. Où en étions-nous ?

- Dévier le sujet sur le travail ne changera rien à la situation, tu sais.

Je tapote nerveusement mon crayon sur le bord du carnet.

- Caitlyn aussi lui mentait quand on a commencé à se fréquenter.

Ma main se fige. Un froid envahit mon corps. Ses mots sont un poison qui s'insinuent jusqu'au tréfond de mon âme. Evidemment que l'idée d'être comparée à elle m'avait effleurée, mais entendre son nom dans la bouche de Jared me fait mal. Alors j'imagine quand Christian fera de même. Je sais d'avance que je ne serais pas à la hauteur.

- Comment était-elle ?

Je me maudis aussitôt d'avoir posé la question. Il va s'en servir contre moi, contre Christian. Je ne le regarde pas. Je l'entends juste se lever et venir s'asseoir sur le bord du bureau.

- Différente. Tu as plus de caractère. Ça donne du mordant à nos échanges. Mais vous avez quelque chose en commun : la naïveté. Tu crois qu'il suffit qu'un mec te fasse les beaux yeux pour qu'il veuille rester avec toi jusqu'à la fin de ses jours.

Cette remarque me pique au vif et réveille les souvenirs de Nathan que j'avais réussi à faire taire. Je me lève d'un bond, les sourcils froncés, le sang battant dans les tempes.

- Qu'en sais-tu ? Tu ne connais rien à ma vie.

Il se penche un peu plus vers moi, assez près pour que son souffle frôle ma peau.

- Alors apprends-moi.

Ma mâchoire se sert et ma main me démange. Il vaut mieux que je sorte d'ici avant de faire quelque chose que je regretterais amèrement. Je me dirige d'un pas rageur vers la porte, pose la main sur la poignée mais avant que je ne puisse ouvrir, celle de Jared s'abat avec fracas juste à côté de ma tête.

- Où comptes-tu aller ?

Mon corps tremble de fureur et de peur entremêlées.

- Laisse-moi sortir ou je me mets à hurler et à coup sûr, tout ton personnel va rappliquer illico.

Jared se met à rire.

- Vraiment ? Faut-il encore qu'ils puissent entrer.

Encore une fois, il se rapproche de moi et sourit.

- Tes réactions son très distrayantes. Tellement à fleur de peau et prévisibles. Elles me donnent envie de savoir ce que ça donne au lit. Je parie que tu dois valoir le détour.

Je sursaute en l'entendant me murmurer ces mots. Il rigole de plus belle avant de me céder le passage. Je me précipite à l'extérieur, le cœur battant à un rythme effréné.    

Love TherapyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant