18.

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J'aurais pu les suivre de loin, eux qui se trimbalent avec des torches visibles à au moins un kilomètre à la ronde, mais j'ai préféré suivre mon propre chemin. Parce que les suivre ne servirait à rien, mieux vaut se séparer pour couvrir plus de terrain. Si je reste à proximité d'eux, je finirais de toute manière par être repérée quand le jour se lèvera. Et d'un autre côté, nous aurons les mêmes traces, alors autant chercher de mon côté afin de trouver mes propres indices.

Alors je suis seule dans le noir de la forêt. J'ai décidé de ne prendre ni torche ni lampe électrique afin d'éviter d'être remarquée par d'éventuels natifs qui passeraient par là. Je ne vais pas mentir, depuis ma petite altercation avec ce natif, la nuit où Charlotte s'est jetée de la falaise, j'ai eu une peur bleue de me retrouver face à l'un d'entre eux. Ce qui me fait le plus peur n'est pas tant le fait que ce soit un natif, mais plutôt le fait que ce soit un inconnu. Une personne chez qui je ne peux pas anticiper les réactions, la force, les pensées. Quand je regarde les personnes du camp, j'arrive un tant soit peu à deviner leur comportement, leur réaction face à certaines situations mais chez les natifs, c'est impossible. Premièrement parce que je n'ai jamais vu leur visage. Le visage, c'est ce qui fait qu'on arrive à prévoir l'attitude d'une personne. Mais le natif que j'ai croisé avait une sorte de masque qui lui couvrait le nez et la bouche. Les yeux sont très expressifs en général mais quand le reste du visage est caché, l'évidence n'est pas immédiate. Alors ces natifs de la Terre sont très imprévisibles et c'est clairement ce qui me fait le plus peur.

Je peine un peu à avancer dans l'opacité de la nuit mais au bout de plusieurs dizaines de minutes, je finis par m'habituer à l'obscurité. Si jamais je devais me servir de mon arc, cela serait probablement pitoyable. La noirceur de la forêt est un obstacle beaucoup trop handicapant pour avoir une bonne précision. La seule chose que je peux faire, c'est prier qu'aucun natif ne se décide à faire une petite promenade nocturne.

Je marche sur les feuilles humides par cette nuit légèrement fraîche, ça m'évite de faire trop de bruit. Mon arc en main, une flèche déjà sur la corde, je suis plus que méfiante. Mon arc ne me servira à rien tant qu'il fera aussi noir mais peut-être que cela pourrait dissuader certains natifs de venir me chercher des noises. Je me doute que je ne vais rien dissuader du tout avec mes tressautements de fillette apeurée mais je ne peux m'empêcher de souhaité rester naïve.

Ma présente solitude est à la fois un cadeau et un fardeau. Un cadeau, parce que je n'ai eu quasiment aucun moment pour moi depuis que nous avons atterri ici, c'est-à-dire il y a cinq jours. Pour me remettre en question, pour souffler un coup. Cette solitude est vraiment appréciée présentement. Mais elle est aussi un fardeau, parce que si je me fais attaquer, je ne donne pas cher de ma peau. Même si Emile avait été là, les choses auraient mal tourné si nous nous étions retrouvés face à des natifs. Il a beau savoir bien viser, ça ne veut pas pour autant dire qu'il ne manquera pas sa cible. Je le vois déjà se recroqueviller sur lui-même pendant qu'un groupe de natifs le tabasse à coups de pied et de machette.

Je n'arrive même pas à anticiper leur armement. Il existe tellement d'armes blanches et tellement de possibilités d'en user que je ne saurais pas comment me défendre. La fuite est une option que j'envisagerai toujours mais si ces natifs sont de bons chasseurs comme je me l'imagine, ils ne feraient qu'une enjambée pour m'attraper comme la proie que je suis. Peut-être même sont-ils cannibales ? Rien que de penser à cette éventualité me donne la chair de poule.

Il ne faut pas que je pense à des choses aussi macabres. Octavia est probablement en danger de mort ou de torture, et moi je pense à comment je pourrais me faire dévorer par nos voisins les natifs. C'est vraiment très encourageant. J'accélère le pas et au diable ces natifs. Les battements excessivement rapides de mon cœur ne sont pas de cet avis mais Octavia est une priorité. Je me battrais du mieux que je pourrais si je dois me retrouver en face d'eux, quitte à en mourir. Je ne sais pas si Octavia mérite que je meurs pour elle mais je l'apprécie assez pour essayer. Les questions de mérite, je trouve ça tellement absurde.

Cet Espoir ■ Bellamy BlakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant