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Quand j'ai vu la porte de ma cellule s'ouvrir à la volée, j'ai cru que c'était la fin. J'ai cru qu'on allait m'envoyer à la dérive, comme ça aurait dû être le cas. Après tout, j'ai eu dix-huit ans il y a plusieurs semaines déjà. Cela m'étonne de ne pas être morte, d'ailleurs. Car normalement, une fois qu'un prisonnier atteint cet âge de la mort, il est conduit jusqu'à la Porte. Celle qui ne sert qu'à cela, jeter des criminels dans l'espace. Les laisser mourir d'asphyxie. Les laisser dériver en orbite autour de la Terre jusqu'à ce que l'air présent dans leurs poumons s'en échappe et ne revienne jamais. Une règle établie dès l'holocauste afin de privilégier des survivants qui ne sont pas prédisposés à la violence, à l'indiscipline ou au sadisme.

C'est cruel, même pour des criminels.

Mais non, je n'allais pas être envoyée à la dérive. C'était bien plus effrayant.

J'imagine que je n'aurais pas dû être au courant, pas avant d'être arrivée à destination tout du moins. Mais que voulez-vous, les gens parlent. Surtout les gardes. Ils parlent comme de vieilles commères, incapables de vivre sans quelques ragots. Des histoires qui ne sont que des rumeurs, des « il paraît que », auxquelles personne ne fait attention. La plupart des rumeurs sont bidons, mais il y en a bien quelques-unes qui ne sont pas uniquement des potins, qui cachent une vérité ou l'une de ses formes. Mais personne n'y croit, car personne n'a le courage de défier l'autorité. Alors on passe dessus. On continue de survivre.

Mais j'y crois cette fois. Toute ma vie j'ai ignoré les rumeurs. Je les ai entendus sans les avoir écoutées attentivement. Sans jamais chercher à en trouver la source, ni même à découvrir si c'était la vérité. Mais maintenant, je me rends compte qu'il aurait fallu que j'y fasse plus attention. Peut-être que ça m'aurait évité de me retrouver en prison, de broyer du noir pendant six longs mois et de chercher à me venger alors que j'ai toujours su que je ne pouvais pas m'évader. Cela aurait peut-être été plus simple si j'avais écouté ces ouï-dire. Probablement que je n'en serais pas là aujourd'hui, à nouveau trimbalée par les gardes vers un endroit qui ne va clairement pas me plaire. L'issue est la même au final, la mort.

Je suis emmenée dans une pièce sombre qui, au premier regard, ne fait qu'augmenter crescendo, mon angoisse depuis que la Garde m'a sorti de ma cellule. L'on m'a accroché un bracelet étrange autour du poignet. De fines aiguilles se sont plantées dans ma chair, faisant alors couler une perle de sang aux extrémités de chaque pique métallique.

Je suis donc la première à prendre place dans la navette. L'on m'assoit dans un des nombreux sièges noirs, m'y attache solidement avec des sangles rouges reliées aux sièges, puis m'y laisse seule. Au début, je m'inquiète de ne voir personne d'autre venir. J'avais entendu qu'il y aurait une centaine de jeunes dans ma tranche d'âge. Et puis, je ne suis pas sûre que l'on ait besoin d'autant de sièges pour envoyer une seule personne sur Terre.

Au fur et à mesure que le temps passe et que le stress monte, d'autres prisonniers entrent. Ils sont presque tous habillés de la même manière. Beaucoup d'adolescents, parfois vraiment très jeunes, entrent alors dans la salle, comblant les sièges noirs aux sangles rouges, par dizaines et tous inconscients. C'est presque à croire que le Conseil souhaite que j'aie plus conscience que les autres de ce qui va nous arriver. Comme si je le méritais plus que tout le monde. J'imagine que c'est un juste retour des choses pour les actes que j'ai commis, car il ne faut pas se le cacher, c'est moi qui remporte la première place pour le pire crime commis sur l'Arche depuis sa création.

Assise à l'autre bout de l'entrée et fermement attachée, j'aperçois un garde qui ajuste les sangles de Finn. Ma frayeur de l'avenir s'amenuise légèrement quand je le vois. Au moins, je ne mourrais pas seule mais avec quelqu'un que j'apprécie. Ses cheveux bruns, raides, tombent sur son cou. Bien qu'il soit endormi, je sais que s'il pouvait me voir en cet instant, ses yeux foncés seraient comme un rayon de soleil pour moi. Une lumière pour éclairer le tunnel sombre où nous allons nous aventurer. Il ignore où nous allons, mais pas moi. Et je sais déjà qu'il me sera indispensable là-bas, comme il l'a été ces dernières années, si nous ne mourrons pas des radiations extérieures. Sur l'Arche, c'est un ami précieux qui sait ce que vaut la vie, tout comme le plaisir de vivre. Il est sain d'esprit alors que je suis perdue au milieu d'une foule de faux sentiments et de mensonges.

Cet Espoir ■ Bellamy BlakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant