Prologue

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La fuite n'est pas à considérer comme un signe de faiblesse, mais plutôt comme un moyen de survivre. C'est une chose que j'ai comprise assez jeune, sans avoir à subir des événements traumatisants pour saisir le concept. Mais dans le monde dans lequel je vis, la fuite en elle-même ne dure jamais bien longtemps.

J'avais couru pour leur échapper. J'avais fait la seule chose qui s'offrait à moi : fuir. Mais c'était retarder l'inévitable, surtout lorsque l'on vit sur un assemblage de stations spatiales. L'Arche est sans issues, et c'était une chose que je savais très bien. Après tout, j'y ai vécu toute ma vie.

Maintenant, je suis plongée dans le noir. Mes genoux sont repliés sous mon menton, mes mains plaquées sur mes oreilles lorsque des coups, puissants et sourds, frappent contre la porte métallique. Chaque coup se répercute en échos maladroits sur les murs, faisant résonner le son de la défaite, de l'échec, sur les parois de mon crâne. Mes larmes sont au bord du suicide, prêtes à s'abandonner sur la pente de mes joues. Mes lèvres sont déformées en une contorsion désespérée, déçue, peinée.

L'on m'ordonne de sortir, mais je reste tapie dans la noirceur de la pièce qui reflète désormais une partie de ma personnalité dont je ne soupçonnais pas l'existence. Les voix se font plus insistantes tandis que les gonds de la porte grincent et menacent de céder. La peur me ronge, autant la peau que l'âme. Ma mâchoire est serrée à tel point que j'ai l'impression que mes dents vont éclater. Les coups persistent inlassablement. Je frappe mes genoux de la paume de mes mains avec fureur tout en injuriant le monde dans lequel je vis.

La porte cède et s'écrase lourdement sur le sol, soulevant une vague de poussière. Il faut dire que cet endroit ne date pas d'hier. C'était l'infirmerie de la station japonaise, avant que les stations ne se rassemblent pour former l'Arche. Une fois bien attachées les unes aux autres, cette pièce n'a plus jamais été utilisée. Et ce n'était pas pour nous déplaire. C'est là que je me réfugiais avec Mica quand nous voulions nous échapper de l'Arche. Parce que c'est probablement la seule partie du vaisseau qui ne lui ressemble pas, qui ne nous rappelle pas à quel point notre vie est merdique. Les murs sont recouverts de bois dont la peinture s'écaille après quatre-vingt-dix-sept ans d'abandon, mais c'est bien suffisant pour donner l'impression que l'on est plus sur la station, mais sur Terre.

Des dizaines de lampes torches se braquent sur moi. Leur lumière est beaucoup trop aveuglante pour que j'essaie de me défendre. Je reste dans mon coin, recroquevillée sur moi-même quand des mains, à la poigne dure, m'agrippent et m'extirpent de mon trou.

Je crie. Je les supplie de ne pas m'emmener. Je sais très bien qu'ils ne comprennent pas ce que j'ai fait pour en arriver là où j'en suis maintenant, la raison pour laquelle j'ai fait ce que j'ai fait. J'ai beau espérer, je ne sais que trop bien ce qu'ils font aux gens comme moi. Des mineurs qui ont commis des délits mais qui n'ont pas encore la majorité pour être envoyés à la dérive. Alors ils sont enfermés dans des cellules juvéniles en attendant cette année de la mort pour être envoyés dans l'espace. De toute manière, quoi qu'on fasse sur l'Arche, c'est considéré comme un délit. C'est un moyen de sélectionner les plus obéissants tout en réduisant la population pour économiser les ressources.

En ce qui me concerne, je suis loin d'avoir commis un délit. Un délit, c'est souvent un petit truc de merde, comme un vol de médicament, ou une menace en l'air. J'aurais pu être arrêtée pour le trafic d'armes et de rouage que je gère depuis mes quatorze ans. C'est un délit sur le long terme dont je ne m'étonne plus de sa durabilité sans être tombé entre les mains de la Garde, et ce n'est même pas la raison de mon arrestation.

La vérité, c'est la pratique de la torture sur l'un des Conseillers qui me met dans cette situation, sans oublier la tentative d'assassinat sur ce dernier. Si je n'avais pas essayé d'extraire des informations à ce bougre, je serais encore en train de faire passer discrètement des rouages d'armes à mes clients. Ma vie aurait encore le sens que je lui attribuais, toujours dans l'ignorance de la vérité sur ma conception.

Cet Espoir ■ Bellamy BlakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant