Rouge (Âmes sensibles, s'abstenir)

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Le 9 juin 2014 6:20

Ce sont ces heures ou l'orgueil et la honte se joignent en quelques battements de cils, ou la colère se meut en désespoir l'espace d'un basculement qui n'a pas le temps d'exister.

Je me suis réveillé d'un cauchemar dont j'ai oublié toute image ce matin là, irritable, irrité, las. Un message sur mon téléphone, des mots d'amour pourtant. Je ne les ai pas lu ainsi, encore vexé de la veille. J'ai maugréé, pesté après celui que j'aime. Jeté le téléphone au bas du lit avec les lunettes, et me suis exclamé :
- je t'en foutrais des "mon chéri".
J'ai vu mon Maitre se réveiller. Je ne lui ai guère été courtois. Il m'a demandé ce qu'il y avait. Je ne sais plus ce que j'ai répondu. Il m'a dit de prendre un anxiolytique. Je dis, cassant, que je n'étais pas angoissé mais en colère. C'était vrai à ce moment là.  Je me suis levé boire un verre d'eau, agité. J'ai tourné en rond dans la pièce,
- "j'en ai marre, je n'ai même plus la place d'exister, je n'en peux plus, quoi que je fasse c'est toujours mal" ai-je ajouté, expression de mon état général d'épuisement et de faillite personnelle.
Puis, je me suis recouché pour trouver le repos. Maitre s'est levé vigoureusement. Je l'ai laisser aller. J'ai cherché le sommeil. Et doucement j'ai essayé de retrouver la paix. Mêlé d'entre sommeil et de cauchemar, j'ai senti qu'il se passait quelque chose d'inhabituelle. J'ai entendu siffloter comme Maitre fait quand il est énervé. J'entendais lointain portes de placard qui s'ouvraient et se fermaient, et fermeture éclair de sac qu'on remplissait. Maître pliait armes et bagages.
La panique m'a prise d'un coup. Je me suis levé, angoissé pour de bon, je lui ai demandé ce qui se passait. Il m'a dit qu'il partait, puisqu'il ne me laissait pas la place d'exister. Ce n'est pourtant pas ce que j'avais dit. Mais il l'avait pris pour lui. J'ai tenté d'expliquer. Rien à faire. L'idée était faite. J'ai supplié. Il est resté ferme.

Le sol s'effondrait sous mes pieds. Le vide m'aspirait. Voilà que celui à qui j'ai donné ma peau me quittait. Je n'arrivais pas à le croire. Je n'arrivais pas à supporter l'idée de survivre à ça. Je me suis dit que j'avais tout gâché, et que je perdais ceux pour qui j'avais pourtant sacrifié tout le reste. Le sentiment de désespoir était absolu.

J'ai redemandé à mon Maitre de ne pas partir, je lui ai dit que s'il partait je ferais quelque chose de terrible. Il m'a demandé ce que je pourrais bien faire. Je n'avais pas de mot. Mes yeux se sont mis à chercher très vite partout autour d'eux, se sont posés sur le cutter sur le bureau. je l'ai saisi de la main droite. Je l'ai ouvert. Je m'en suis donné deux coups fermes sur le bras gauche. Le regard de mon Maitre était comme ailleurs, sidéré, incrédule. Comme s'il ne s'était rien passé, il est parti fermant la porte derrière lui. Je suis resté les bras ballant et perdant mon sang. Une large marre rouge se formait autour de moi. Désemparé. Hagard. Qu'y avait-il a faire maintenant ? Je ne voyais plus d'avenir possible sans lui. J'étais déjà mort. Alors... Alors, je suis aller dans la salle de bain, avec cette flaque de sang qui me poursuivait. Je me suis allongé dans la baignoire. J'ai fait couler un bain, et j'ai attendu que mon sang se vide dans la baignoire. Un bain de sang, mon sang carmin, répandu pour retenir l'homme à qui je me suis donné. L'angoisse d'abord. L'affreuse réalité. Et j'ai lavé ma plaie pour que le sang ne coagule pas. Puis lentement, tout doucement, le silence. Le battements du coeur qui lentement s'apaise. Le temps interminable. Quand la mort va-t-elle venir ? J'ai attendu. Le téléphone a sonné, presque lointain. Germain, mon compagnon que j'avais quitté quinze jours plus tôt appelait. Je reconnaissais la sonnerie de criquet qui était la sienne.  La peur, soudain, qu'il ne s'inquiète et donne l'alerte une nouvelle fois. Je suis sorti de la baignoire prendre le téléphone tout près de la porte. Il a trouvé ma voix faible. M'a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu qu'il valait mieux qu'il ne sache pas. Il a insisté. J'ai fini par lui dire que j'avais fait quelque chose de mal. Il m'a fait préciser. Il m'a proposé d'appeler les secours. Je m'y suis opposé.  Il m'a proposé d'appelé mon Maître. J'ai accepté.

Germain a rappelé quelques minutes plus tard. Il a trouvé ma voix de plus en plus faible, m'a dit que Maitre allait venir. Il est resté au bout du fil pour me faire parler.

Puis, après qu'il ait raccroché de nouveau trouvant que le temps était long avant que ne vienne mon Maitre, j'ai senti la paix, comme une joie dans mon esprit, plus un souffle de battement de coeur ne venant assourdir mes oreilles. J'étais prêt. Presque qu'heureux que cela se termine, a peine inquiet. Pourtant, le moment ne venait pas. Attendre. J'ai pensé : "s'il ne viennent pas avant que ce soit la fin, c'est que mon destin s'arrête ici. Plus rien à faire que de se laisser aller.

Du temps qui passe. Un peu de bruit de mon coeur que j'entends de nouveau. Plus guère de force pour nettoyer la plaie. Aller, encore un peu plus, qu'on en finisse.

Germain rappelle, il me dit que Maitre arrive avec Illico mon frère soumis. Il craint que je ne puisse aller ouvrir la porte. Je ne me soucie pas de ça. Je sais que Maitre à la clef. Je raccroche.

Un court moment. Le vacarme de la porte. Des exclamations.
Je reste là, lové dans ma baignoire écarlate.
Une voix :
- qu'est ce qu'on fait.
Une autre
- on appelle le 17.
Maitre sifflote. Il est stressé. Ca ne répond pas. Je pense : "pourvu que ce soit fini avant."
Au troisième essai, une conversation, l'adresse de l'appartement.
Il ne fallu pas dix minutes pour que les pompiers soient là. Je pleure. "Il sont là trop tôt."

Il me demande de sortir, Maitre me tient, me fait un bandage sommaire, me tend un peignoir, j'ai la pudeur de vouloir cacher mon dispositif de chasteté. Je lui en demande la clef. Il me répond qu'il ne l'a pas. Je me pose dans le fauteuil. Je regarde au dehors le canal si calme, et de temps à autre, la désolation autour de moi.

Maitre explique que lui et Illico sont des amis, qu'ils ont donné l'alerte. Le pompier chef me dit qu'il va  falloir sortir pour aller a l'hôpital et que je ne peux pas rester là. Je sors de l'immeuble, traverse la rue jusqu'au camion rouge. Le soleil est haut dans le ciel. Il est midi passé.

Hauts ébats... et heurts pourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant