Cinquième virage

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Chapitre 5.

Lord était fin prêt à rentrer à la maison pour s'y reposer. Il n'avait qu'une hâte et c'était celle de se blottir dans son lit, dans sa chambre. Les lits d'hôpitaux, c'était bien beau, mais rien ne remplacerait son chez-lui. À la clinique, les murs étaient trop blancs et la lumière trop vive. Il avait constamment l'impression d'être mort et d'avoir abouti au Paradis (alors qu'il aurait mieux fini en Enfer).

Des bandages sur tout le corps, c'est appuyé sur les épaules de Scandal et aidé de Gideon qu'il parvint à sautiller – trop orgueilleux pour être à nouveau porté comme une princesse – jusqu'à la moto du blond. La vue de l'engin lui fit un pincement au cœur. Ça lui rappelait qu'il avait probablement perdu sa propre Harley pour de bon... Il savait que c'était con de s'être attaché autant à un objet, à un tas de bouts de ferraille, mais il n'y pouvait rien. Il était comme un gamin auquel on aurait arraché son ourson en peluche préféré.

Au moins, il pouvait faire le chemin jusqu'au manoir avec Scandal et se blottir contre lui. C'était un plus non-négligeable. S'il avait eu sa moto et s'il avait été en état de la conduire, il n'aurait pas pu faire ça sans paraître suspect aux yeux de son ami et de tous les autres membres du gang. Il ne tenait pas à se faire griller.

Lord ne gardait que de flous souvenirs de son arrivée au manoir. Il était encore un peu dans les vapes des calmants et anti-douleurs que Gideon lui avait administrés pour le soigner. Il se souvenait à peine d'avoir été, à demi-conscient, transporté par Scandal jusqu'à son lit.

Scandal avait rabattu les couvertures sur son corps, puis lui avait embrassé le front.

— Repose-toi bien.

Quand le blond avait voulu partir, Lord lui avait tenu le bras.

— Reste.

Scandal jeta un regard aux mains fines de son ami et fronça les sourcils. Il avait encore vu ce « R » gravé dans la peau de Lord : ça le faisait grincer des dents. Ce connard de Revenge n'avait pas le droit ! À cause de ça, son protégé ne pourrait plus jamais regarder sa main sans se souvenir de toutes les tortures qui lui avaient été faites.

— Je dois partir.

Ou sinon, il allait finir par casser quelque chose dans cette pièce.

— Mais je vais vite revenir, assura-t-il.

Il ôta son blouson de cuir avec le logo du gang à l'arrière, puis il le tendit à Lord.

— Je reviens, répéta-t-il.

Groggy, Lord attrapa la veste et, sitôt la porte refermée, il en respira l'odeur. Un mélange d'essence à moteur, d'épice et de ce parfum de luxe que l'homme aimait porter : ça sentait Scandal. Il se blottit contre le manteau et ferma les yeux. La fatigue lui tombait dessus.

***

Scandal était énervé. C'est ce qui le poussa, quelques heures plus tard, à pousser avec brusquerie la porte du salon de tatouage qui s'occupait généralement de tous les membres des Skull's head.

En le voyant arriver, le tatoueur fronça les sourcils. Il était blond, les cheveux rasés d'un côté de la tête, l'oreille blindée de piercings avec les yeux bleus. Scandal était son portrait craché, à quelques années près.

— Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu ici, Philippe.

Scandal grimaça.

— Ne m'appelle pas comme ça, grand frère.

Le mot « frère » n'avait jamais sonné aussi péjoratif et insultant que dans la bouche déformée par un rictus du biker. L'interpellé soupira.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Tu crois que je viens dans un salon de tatouage pour me faire faire une nouvelle coloration, peut-être, Brandon ?

— Viens t'asseoir.

Grimaçant, Scandal vint poser son cul sur le lit qui servait à tatouer les clients. Son frère passa derrière lui et loucha sur sa nuque :

— Tu as encore ce tatouage ? J'étais certain que tu aurais été voir n'importe quel rat miteux au coin de la rue pour te le faire ôter au laser.

C'était le premier tatouage de Scandal. Quand son frère avait commencé à vouloir tatouer, il y a de nombreuses années, il s'était porté volontaire pour être le cobaye : en résultait un petit papillon dans le bas de sa nuque. Lui et Brandon avait des différends, mais il n'avait jamais pu se résoudre à recouvrir ou faire enlever ce tatouage qui avait été le pionnier d'une longue lignée, presque tous exécutés par son frangin.

— Tu me sous-estimes.

— Qu'est-ce que tu veux comme tatouage ? Ça doit être important pour que tu débarques au beau milieu de l'après-midi, alors que je ne t'ai plus vu depuis presque un an ! As-tu décidé de me faire disparaître de ta vie comme tu as fait disparaître notre mère ?

Scandal se retourna vivement et fusilla son aîné du regard.

— La ferme ! Ce n'était pas comme ça ! Je n'étais qu'un gamin ! Qu'est-ce que tu aurais voulu que je fasse ?! Que je reste enfermé dans la maison à attendre la mort avec elle ?!

— Elle avait besoin de notre aide et de notre soutien et tu as préféré partir.

— On a déjà eu cette discussion des centaines de fois ! Ça ne sert à rien d'insister... Je ne peux pas changer les choses. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

— Que tu t'excuses, d'abord.

— Ça ne servirait à rien. Tu crois que je regrette d'être parti avec Lord et d'avoir rejoint les Skull ? C'est la meilleure chose qui ne me sois jamais arrivée. Et si ça t'intéresse, Lord a été kidnappé et agressé : c'est pour ça que je suis ici, aujourd'hui, alors ferme ta gueule et tatoue-moi.

Brandon ouvrit la bouche, mais aucun son en sortir.

— Qu'est-ce qui est arrivé à Lord ? Il va s'en sortir ? Il va bien ? Quelle enflure a osé lui toucher ?!

Lord avait été le compagnon de jeu de son frère pendant toute son enfance. Il les avait vu grandir ensemble. Pour lui, il était impensable qu'on puisse lui avoir fait du mal.

— Il va bien..., murmura Scandal, l'air calmé. Les Skull's head ont la situation en main.

— Je dis rarement cela, mais tuez celui qui a fait ça.

— Je le ferai de mes propres mains, promit-il avec un air sombre. D'abord, j'ai besoin de ce tatouage, tu comprends ?

Scandal faisait partie de ceux qui devaient encrer les choses dans leur peau pour pouvoir passer au-dessus. Brandon était tatoueur, il comprenait ce besoin.

— Qu'est-ce que tu veux comme tatouage et où ?

Il avait déjà son aiguille et son encre, prêt. Scandal lui tendit sa main :

— Un « R », ici.

— Tu sais que la main est une partie du corps douloureuse à tatouer ?

Beaucoup d'os, presque pas d'épaisseur de peau et pas de gras, ça réunissait toutes les conditions pour un tatouage qui allait faire un mal de chien.

— Tu penses que j'ai l'air de m'en soucier ? Rien ne va se rapprocher de ce que Lord a vécu, alors vas-y. 

Scandal | GhostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant