༄ Chapitre 29

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Tremblante comme une feuille, je déposai un verre de liquide ambré devant Kanoa qui s'était assis à sa place habituelle. Un sursaut me prit quand ses doigts fripés et calleux s'enroulèrent au tour de mon poignet sans forcer. Levant mon regard dissimulé sous mes lentilles, je vis les yeux trop verts du vieil homme briller d'une lueur rassurante, comme s'il cherchait à me dire que tout allait bien se passer. Mais je n'arrivai pas à en être rassurée pour autant, depuis qu'il était entré ici, Dagon ne cessait de le fixer et ça faisait des heures. Le jour déclinait de plus en plus. Habituellement Kanoa ne s'attardait jamais autant, alors comme mon instinct me l'avait crié, quelque chose allait se passer. Il restait encore quelques clients humains, mais ils ne semblaient pas remarquer l'atmosphère pesante qui régnait depuis l'arrivée du vieillard. Et ce n'était pas plus mal à bien y réfléchir. Les doigts basanés relâchèrent mon poignet pâle et je me détournai, mirant Dagon du coin de l'œil. Tous ses muscles étaient tendus et il semblait attendre le bon moment pour bondir sur sa proie.

Son langage corporel me fit encore plus redouter le moment où les derniers clients quitteraient l'établissement. J'avais ma petite idée du pourquoi Dagon et le vieillard s'épiait ainsi, mais j'avais appris qu'avec ces créatures, il valait mieux ne pas trop s'avancer. Quand vous pensiez savoir quelque chose, ils vous prouvaient le contraire. Les minutes poursuivaient leur course, inarrêtables. Et plus elles avançaient, plus les clients restants désertaient les lieux. Vint finalement le moment où le dernier passa la porte. Impatient, Dagon n'attendit pas qu'il se soit éloigné pour se redresser et rejoindre Kanoa en quelques enjambées. Le vieil homme ne sourcilla aucunement quand la montagne de muscles se planta devant lui. J'étais certainement bien plus inquiète de ce qui risquait de suivre que cet homme.

— User de violence est inutile, avertit Kanoa avec sérénité, nous pouvons parler.

— Je n'ai rien à dire à un traitre !

— Je crois que vous partez trop vite en besogne, prince Dagon.

Si je me tins en retrait au début de cette histoire, je pris le risque de m'approcher pour mieux suivre la conversation. J'avais beau craindre les réactions du père de mes enfants, je ne pouvais refouler l'intense curiosité qui me brûlait les entrailles. Comme je l'avais pensé, Kanoa était bel et bien un Atlante. Avait-il tout de suite compris ce que j'étais ? Moi, en tout cas, je n'avais absolument rien soupçonné.

— Je fais partie de votre peuple, confirma le vieillard, mais je n'ai jamais vu l'Atlantide.

— ... Tu es un bâtard à moitié humain.

Le ton de Dagon était méprisant au possible, sans parler de son expression particulièrement hostile et du dégoût qui brillait dans ses iris. Ça me fit mal au cœur de le voir si... sectaire. Kanoa avait tout de même du sang Atlante dans les veines ! Mais visiblement, le simple fait d'avoir un parent humain était suffisant pour dégoûter le prince.

— Oui, feu mon père était un humain, c'est pour cela que je parais bien plus vieux que vous, alors que vous êtes mon aîné.

— Quel âge as-tu ? me risquai-je à lui demander.

— J'ai arrêté de compter avec les années, mais je suis né peu de temps après qu'une partie du peuple Atlante soit venu sur ces terres.

En effet, il avait donc une sacrée bouteille. Il donnait l'impression d'un homme approchant les soixante-quinze ans tout au plus. Mais en réalité, il avait des siècles d'histoires derrière lui. Pourtant, j'avais aussi de la peine pour lui, s'il dépérissait de la sorte, ça voulait dire que sa mère devait avoir conservé son aspect de jeune femme. Elle devait se faire passer pour sa petite-fille ou quelque chose s'en rapproche. N'étant, à la base pas une Atlante, était-ce aussi ce qui allait m'arriver ? Allais-je me voir vieillir au fil des siècles qui s'écouleraient ? Cette pensée me fit frissonner. En tant qu'humaine, elle aurait été bien plus facilement acceptable, mais je craignais que mes enfants ne restent jeunes et qu'ils me voient m'éteindre un jour sans pouvoir ne rien y faire. Mes entrailles se contractèrent encore un peu plus et mon cœur se serra douloureusement.

༄ ⸻ ̼𝐁𝐥𝐚𝐜𝐤 𝐒𝐞𝐚  ● [ 𝘕𝘰𝘶𝘷𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘝𝘦𝘳𝘴𝘪𝘰𝘯 ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant