Comme elle l'avait prévu, Flora prit le métro pour aller chez Marcus même si, d'habitude, elle n'empruntait ce moyen de transport que lorsque c'était indispensable car elle préférait marcher. En arrivant rue Champredin, elle mit un certain temps à comprendre que le numéro 8 était cette unique porte bleue qui donnait sur un long mur aveugle. Etonnée, elle sonna, s'annonça dans l'interphone et la porte se déverrouilla. Stupéfaite, Flora se retrouva dans un jardin. Un vrai jardin avec d'immenses arbres dépouillés par l'hiver et un petit chemin sablé qui semblait se perdre dans des bosquets.
À cet endroit de Paris, l'hiver sentait la nature et l'odeur un peu acide de l'air froid dans les branches s'engouffra dans ses narines. À droite, une maison de campagne en pierre avec des volets bleus se dressait au milieu d'une cour pavée et une femme qui se tenait sur le seuil l'invita à avancer puis à entrer dans la maison. Tout en parcourant l'allée, Flora imagina son père dans ce jardin, alors qu'il avait passé sa vie dans un appartement, sans même un balcon !
— Entrez, entrez mademoiselle... C'est vous qui venez chercher les vêtements de M. Chevalier ?
La femme devait être âgée d'une cinquantaine d'année. Grande, mince avec des cheveux poivre et sel, elle avait une physionomie avenante et Flora la trouva tout de suite sympathique.
— Heu... Oui, je pense... Marcus ?
C'était bien ainsi qu'il s'était présenté.
— Oui, c'est cela. Entrez, vous allez prendre quelque chose de chaud, n'est-ce pas, avant de repartir par ce froid. Je suis la gouvernante, Claudine Laplanche... C'est incroyable cette mauvaise saison !
En entrant dans le vestibule, Flora admira un magnifique escalier en bois sculpté. Mme Laplanche l'installa dans le salon, tout près du coin cuisine et Flora lança des coups d'œil émerveillés sur la grande salle. Où que se pose son regard, elle apercevait des tableaux, des meubles magnifiques, des tapis au couleurs chaudes. Une atmosphère chaleureuse se dégageait de l'ensemble et son cœur se dilata d'une étrange émotion lorsque la gouvernante posa devant elle une tasse et une théière en porcelaine.
— Cette maison est très belle ! s'exclama-t-elle.
— C'est une ancienne auberge, expliqua la gouvernante avec un sourire. Elle a servi d'entrepôt au début du XXème siècle et elle devait être démolie mais le grand-père de M. Chevalier l'a achetée et rénovée de fond en comble.
— La façade de la maison est intacte et l'enseigne de fer forgé pend toujours au-dessus de la porte, poursuivit-elle en montrant le jardin par une porte-fenêtre qui donnait sur une terrasse.
— Cette pièce était l'écurie destinée aux chevaux de l'auberge, à l'origine, ajouta-t-elle en désignant la cuisine.
Comme Flora commençait à avoir trop chaud, elle laissa glisser sa veste le long de ses bras et retira son pull.
— Marcus m'a dit que vous habitiez le seizième arrondissement ? l'interrogea la gouvernante.
— Oui. Je l'ai retrouvé en revenant du travail, près de la porte Maillot, sur l'avenue Charles de Gaulle. Elle prit le temps de raconter toute l'histoire à la femme car elle sentait qu'elle était inquiète pour son patron. Quand elle eut terminé son thé et mangé un biscuit – Mme Laplanche ne parvint pas à lui en faire manger davantage – Flora se leva et prit le sac de voyage en cuir que la gouvernante avait posé dans un coin.
— Vous n'avez pas oublié des chaussures et un manteau ?
— Non, bien sûr que non, il y a aussi de l'argent pour le taxi. Comme cela, il sera plus vite rentré !
— Très bien. Merci beaucoup pour le thé, madame, et le biscuit était délicieux.
Tout en parlant, Flora remit son pull, enfila sa veste et sentit le regard apitoyé de Mme Laplanche s'attarder sur ses bras. Etait-elle aussi maigre que le lui avait fait remarquer Olivier ?
— Eh bien, prenez ceux qui restent, lança la femme, vous les mangerez plus tard !
— Mais non voyons, il vaut mieux les garder pour votre patron, il est resté inconscient et n'a pas mangé depuis deux jours, il doit être affamé ! Bonne journée, madame.
— Appelez-moi Claudine ! proposa-t-elle après une hésitation.
— Si vous voulez. Merci. Je m'appelle Flora.
— Alors bonne journée Flora. Revenez me voir, à l'occasion !
— Au revoir, alors.
Flora traversa le jardin et sortit dans rue. Lorsque le vantail bleu sefut refermé derrière elle, elle eut l'impression, en foulant le trottoir de larue Champredin, qu'elle venait de quitter le jardin d'Eden. Même en hiver, ce lieuétait, lui semblait-il, le plus bel endroit qu'elle avait jamais vu et elle étaitpersuadée que son père aurait pensé la même chose.

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...