Les yeux noirs

Chapitre 11

Assis dans le café qui faisait le coin avec l'avenue de Malakoff, Marcus et Flora buvaient du thé en discutant :

— Mme Bouchereau demandait cette somme, je ne vois pas pourquoi je vous donnerai moins enfin !

Après avoir cherché en vain une remplaçante pour apporter les repas à Cousine Laurine et lui tenir compagnie pendant plusieurs semaines, Marcus avait applaudit lorsque Claudine Laplanche lui avait suggéré de faire appel à Flora. Il n'avait plus repensé à elle depuis son sauvetage et avait apprécié que sa gouvernante lui donne son numéro de téléphone.

À présent, il voulait lui faire accepter une rémunération en échange du service qu'elle lui rendrait en remplaçant la voisine de Cousine Laurine.

— Mais parce que... Enfin, c'est énorme !

— Mais c'est très contraignant voyez-vous, tous les jours, deux fois par jour... Les repas sont livrés par le traiteur mais il faut la servir et s'assurer qu'elle mange. Pendant la semaine, c'est elle qui commande alors elle aime ce qui est servi... Mais pour le week-end, le restaurateur fait sa livraison le samedi midi avec ce qui lui reste, ce qui fait que parfois, elle se plaint... Je crois qu'au fond elle est satisfaite de cet arrangement... Et quand je lui dirai que vous m'avez sauvé la vie, elle vous aimera tout de suite.

— Je ne vous ai pas sauvé la vie, n'exagérez pas !

Marcus venait à peine de terminer sa phrase qu'il réalisa que c'était la vérité. Si elle n'avait pas appelé ses amis pour le transporter chez elle, il serait sans doute mort de froid cette nuit-là ! Qu'avait-il fait pour lui montrer sa reconnaissance ? Rien. Il était rentré chez lui et avait repris sa petite vie bien tranquille, bien au chaud, pendant qu'elle continuait à se geler dans sa chambre de bonne !

Le cœur serré à l'idée qu'il avait manqué quelque chose d'important, Marcus posa sa main sur la sienne. Il devait la convaincre d'accepter ce travail, cela lui permettrait sans doute de s'acheter un manteau et, peut-être, un radiateur pour le prochain hiver ! La main trop fine de la jeune fille n'était pas glacée, elle était chaude au contraire, et même brûlante. Il retira vite la sienne, étonné de sentir son sang s'échauffer dans ses veines au contact de sa peau. Relevant la tête, il croisa le regard noir, profond de la jeune femme et se demanda comment il avait pu imaginer un instant qu'il pouvait s'agir d'un homme. Pour un peu, il aurait presque été attiré par elle s'étonna-t-il.

J'avais reçu un coup sur la tête, c'est le cas de le dire, pensa-t-il.

— Vous n'allez tout de même pas laisser une pauvre vieille toute seule, en plein hiver, à Paris ? reprit-il. Cousine Laurine est charmante. Voulez-vous que je vous présente ? Elle n'habite pas très loin de chez vous.

Flora acquiesça d'un signe de tête, se leva et enfila sa veste grise, son bonnet avant d'enrouler l'écharpe rose et bleue autour de son cou.

— Elle est jolie votre écharpe, lança Marcus parce que le silence lui pesait. C'est vous qui l'avez tricotée ?

— Jolie ? C'est vrai, je l'aime bien. C'est Irène qui l'a faite avec tout un reste de laine qui traînait dans son placard. Maintenant, elle a plus de place pour ranger ses affaires et moi j'ai bien chaud l'hiver.

— Qui est Irène ?

— C'est la locataire du fond. C'est une vieille dame charmante et elle s'ennuie souvent parce qu'elle a du mal à descendre l'escalier. Parfois, le dimanche, Élie l'aide à gagner le rez-de-chaussée, lui fait faire le tour du quartier et la remonte. Élie est très costaud, c'est lui qui vous a monté l'autre soir. Avec Olivier.

— Et comment fait-elle ses courses ? l'interrogea-t-il, curieux.

— C'est moi ou Christine, ma voisine qui nous en chargeons à tour de rôle. C'est pénible l'été parce qu'il faut lui monter de l'eau. Irène ne veut pas boire l'eau du robinet. Elle se laisserait plutôt mourir de soif !