— Adieu, murmura Flora pour elle-même lorsqu'elle entendit ses pas sur les marches de l'escalier.
Seule dans sa chambre, elle monta sur le tabouret et ouvrit la lucarne. Par la fenêtre, elle contempla les toits qui s'étendaient devant elle, à perte de vue et parvint à retrouver une certaine paix intérieure.
Le décès de sa vieille amie l'avait beaucoup touchée et elle comprenait que Marcus, à qui elle avait servi de mère, puisse être aussi ému. Flora ne s'appesantit pas sur ce qui s'était passé entre eux. Elle savait que les hommes réagissent parfois de façon étrange quand ils sont malheureux et se souvint de cette soirée ou Sélim, qui venait de voir sa petite amie partir pour l'Angleterre, l'avait embrassée puis lui avait fait l'amour. Enfin... rectifia-t-elle en son for intérieur, il avait besoin d'amour. Comme Marcus cet après-midi... Ça ne m'a pas fait beaucoup d'effet, comme d'habitude. Maman a raison, je ne suis pas une vraie femme sinon, ça m'aurait fait quelque chose, ça m'aurait plu sans doute... Je ne pourrais jamais rendre un homme heureux... C'est dommage, j'aurais pourtant aimé avoir un enfant...
Flora avait été étonnée que Sélim soit revenu ensuite. Non pas pour lui dire qu'il l'aimait mais pour lui faire comprendre qu'il voulait vivre avec elle. Elle n'avait pas très bien compris ce qui animait le jeune homme cette nuit-là et la présence de Marcus l'avait trop distraite pour qu'elle s'attarde à y penser davantage. À présent, c'était Marcus qui avait eu besoin de réconfort et elle lui en avait donné. Après tout, s'il se satisfaisait d'une fille comme elle, d'un sac d'os, laid et maigre... Lui était si beau !
Flora s'attarda un instant sur cette pensée. Trop beau. Marcus était le type d'homme qui s'intéressait aux belles femmes, aux vraies femmes, comme sa mère... D'ailleurs, elle lui avait bien dit qu'il était très riche et qu'il sortait avec des femmes sublimes, blondes...
Flora se promit de ne pas penser à lui : d'abord parce qu'il ne pourrait jamais s'intéresser à elle, ensuite parce que si ça arrivait... elle serait incapable de le rendre heureux... Elle n'avait jamais eu de plaisir avec un homme et n'en aurait jamais lui avait affirmé sa mère. La conversation qu'elle avait eu avec elle lui revint en mémoire : Léa prétendait qu'elle était anormale ? Avait-elle raison ? Flora haussa les épaules : à quoi bon se mettre le martel en tête ? Ce qui comptait, c'est que Marcus aille bien... Il avait Mme Laplanche pour veiller sur lui, il n'avait besoin de personne d'autre. Tout à l'heure, elle irait s'assurer que Irène avait tout ce qui lui fallait après cet après-midi passé au cimetière...
Heureuse d'avoir surmonté sa tristesse, et même si elle savait que celle-ci reviendrait maintes fois avant que la disparition de son amie ne soit plus qu'un mauvais souvenir, Flora sortit de sa chambre et croisa Christine qui rentrait chez elle. C'était une femme d'une trentaine d'année, très brune avec des yeux marron clair que Flora ne pouvait s'empêcher de lui envier. Elle détestait tant ses yeux noirs !
— Salut Christine.
— Salut Flora. Tu sais, j'ai croisé un type dans l'escalier de service ! Un homme brun, costaud, hyper bien sapé... Il venait de chez qui ?
Elle regarda Flora et dut oublier sa question car elle en formula aussitôt une autre :
— Tu en fais une drôle de tête ? Ça va pas ? s'enquit-elle, visiblement inquiète pour elle.
— Cousine Laurine a été enterrée cet après-midi... répondit-elle parce qu'elle ne tenait pas à lui parler de Marcus. Ça me fait drôle...
— C'est la vie. Elle était très vieille non ?
La brutalité de Christine lui fit mal mais elle ne la releva pas. Christine était gentille mais elle était aussi très directe, ne s'embarrassant pas de chichis comme elle le disait elle-même.

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...