Chapitre 18

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Dans la rue, Marcus ne se rua pas sur le premier taxi. Il marcha au hasard des rues tranquilles et des avenues du seizième arrondissement, rependant à tout ce que lui avait dit la vieille voisine de Flora. D'après Irène, Flora avait besoin d'apprendre à être égoïste, comment apprend-t-on cela à quelqu'un ? Comment est-on égoïste ? Quand ?

En franchissant enfin la porte de son jardin, il se souvint des paroles de la vieille femme : « je sais que la petite, elle aime les jardins ». Aussi, au lieu de se diriger vers la cuisine, il prit l'allée de graviers qui le traversait. Il n'était pas très grand mais les deux chênes qu'il abritait étaient beaux en cette saison même s'ils avaient une ou deux branches un peu dépouillées. Les massifs de fleurs étaient dégarnis car Marcus se contentait de les faire entretenir quatre fois par an par un jardinier mais il s'assit sur un banc vermoulu installé sous une charmille. De là, il voyait les portes fenêtres du séjour et la terrasse où il manquait des chaises longues et finit par se relever.

Irène avait raison, il devait tenter sa chance auprès de Flora. Il était peut-être trop tôt pour qu'il ose donner un nom aux sentiments qui le poussaient vers elle mais il pressentait qu'il avait besoin d'elle et cette sensation l'exaltait et le déprimait, tout à la fois. Une fois dans la cuisine, il se servit un verre de jus d'orange et vit arriver Claudine, attirée par le bruit.

— Oh, tu es là, Marcus. Je croyais que tu ne devais revenir que plus tard ?

— Non. Je ne me suis pas attardé. Tu pars ce week-end ?

— Oui, à moins que tu n'aies besoin de moi. Mes enfants seront tous réunis chez ma fille aînée demain, et je voudrais profiter de leur présence.

— Vas-y, vas-y Claudine... Reste aussi le lundi, si tu veux...

— Non. Lundi je serai rentrée car Flora vient me voir tous les lundis.

— Tous les lundis ? demanda Marcus, incrédule.

— Oui. Elle a pris cette habitude... expliqua Claudine. Je ne sais plus quand... Le lundi, je faisais des biscuits qu'elle emmenait le mardi à la partie de cartes de cousine Laurine... Bien sûr, elle n'est plus là mais elle est venue les deux derniers lundis... On prend le thé, on bavarde mais elle n'emporte plus de biscuits, elle ne veut jamais.

— Bien sûr, affirma-t-il pour dire quelque chose parce qu'il se moquait des biscuits mais qu'il était secrètement ravi de ce qu'il venait d'apprendre.

— Mais elle en mange... ajouta Claudine avec un sourire radieux. Au début, elle ne prenait rien ou juste un biscuit pour me faire plaisir, et puis maintenant, elle est plus gourmande. Mais elle vient à pied alors ce n'est pas ça qui va la faire grossir n'est-ce pas ? conclut, elle, manifestement déçue.

— À quelle heure vient-elle le lundi ? l'interrogea-t-il.

— Vers cinq heures, pour le thé. Elle ne reste pas longtemps parce qu'elle travaille le lundi et qu'il lui faut une heure pour y aller d'ici à pied... Mais je ne manquerais la visite de Flora pour rien au monde !

Le lundi suivant, Marcus entra dans la cuisine à dix-sept heures cinq, en coup de vent, comme s'il arrivait là par hasard et Claudine lui servit aussitôt une tasse de café. Flora, qui interrogeait la cuisinière sur une de ses recettes se tourna vers Marcus pour lui demander comment se passait son travail.

— Très bien. Mais j'ai des soucis ces derniers temps... C'est à cause de la maison... Ou plutôt, du jardin.

— Du jardin ! s'exclamèrent en même temps les deux femmes.

Marcus lança un regard appuyé à la cuisinière et continua :

— Je le trouve mal entretenu, j'ai besoin d'aide pour m'en occuper... Il n'y a pas eu une seule fleur ce printemps et j'ai pensé que je pourrais y mettre des tulipes, des crocus... C'est joli les crocus, ça fleurit en février-mars non ?

— Tu veux que je t'aide à les planter ? proposa Flora, enthousiaste.

— Tu veux bien ?

Le sourire qui s'épanouit sur le visage de Flora gonfla son cœur d'une drôle d'émotion.

— Mais oui, bien sûr... affirma-t-elle. En plus, j'aime bien jardiner... Enfin, je crois. Je n'ai jamais eu de jardin mais c'était le métier de papa et il me parlait toujours de ce qu'il faisait, en fonction des saisons...

Tandis que Flora, les yeux un peu perdus, revivait ses souvenirs, Claudine jetait un coup d'œil scandalisé à Marcus qui lui sourit d'un air apaisant.

— Tu pourras venir un peu plus tôt lundi prochain pour qu'on ait le temps de préparer les massifs ? Il faut que tout soit prêt en novembre... Et puis, on peut replanter des rosiers le long du mur... Ils sont trop vieux... Il parait qu'on peut les planter au mois d'août si on arrose tous les jours...

— Ok. À quelle heure veux-tu que je vienne, lundi ?

— Viens vers treize heures, comme cela, nous aurons du temps...

— Je ne pourrais pas venir aussi tôt, se désola-t-elle, les sourcils froncés. Je dois...

— Ce n'est pas grave, la coupa-t-il. Viens quand tu pourras. Je t'attendrai pour commencer.

— Tu exagères, Marcus ! intervint Claudine lorsque Flora fut partie. Tu ne crois pas qu'elle a bien assez de travail sans, en plus, lui faire entretenir le jardin ! Demande au jardinier de s'occuper des massifs et des rosiers, ce sera bien plus efficace... Et moins fatigant ! Tu vas lui faire perdre les quelques kilos que j'ai réussi à lui faire prendre en la gavant de pâtisseries et de sandwiches !

— Je sais ce que je fais Claudine. Fais-moi confiance.

Et sous le regard réprobateur de la cuisinière, il quitta la cuisine.

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant