Chapitre 39

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Lorsque Flora sortit sur le palier, ce jour-là, il était quatre heure du matin. L'ascenseur étant en panne, elle descendit l'escalier à pas lents, en essayant de croire qu'elle était encore en train de dormir. Une fois dans le hall, elle croisa Nathalie, une ouvrière qui, comme elle, se rendait à l'usine.

Après un bref salut, elles avancèrent côte à côte le long du trottoir jusqu'à l'arrêt de l'autobus. Le véhicule poussif s'arrêta devant elles et elle rejoignirent la troupe humaine, à peine éveillée qui, comme elles, se rendait au travail.

— C'est une bonne chose, ce bus, hein ? murmura Nathalie qui avait pris place à côté d'elle.

Flora hocha la tête, essayant de comprendre, dans un brouillard de fatigue. La veille, avec le soleil de l'ouest qui surchauffait son appartement à travers les vitres sans volets, elle avait eu beaucoup de mal à trouver le sommeil et, à présent, tout son corps protestait. Le bus s'arrêta une dernière fois : il était plein et elle fit l'effort de s'éveiller. Comme Nathalie avait parlé, elle essaya de répondre :

— C'est vrai...

— Quand j'ai commencé, y'avait pas de transport, reprit-elle, sans doute mieux réveillée. Moi, j'prenais ma voiture mais on usait de l'essence alors que là, c'est gratuit.

Flora hocha la tête, trop épuisée pour faire la conversation.

— C'est pour quand ton petit ? lui demanda-t-elle.

— Fin septembre, se força-t-elle à répondre.

— C'est bien ça. C'est un gars ?

— Je sais pas, Ce sera une surprise.

Nathalie eut un petit rire :

— Moi, j'ai toujours demandé. J'ai eu deux gars et une fille.

— Ils ont quel âge ? l'interrogea Flora, un peu mieux réveillée.

— Ils sont grands, fit-elle, très fière L'aîné va sur ses vingt-cinq ans et la cadette termine son CAP coiffure. Ils ont bien réussi.

— C'est bien, ça la coiffure, elle pourra te faire tes teintures ! observa Flora en songeant à sa mère.

— Elle les fait déjà, lança Nathalie. C'est beau hein ?

Elle tournait la tête pour faire admirer les mèches dorées qui parsemaient ses cheveux châtain. Qui s'est qui va te le garder, ton p'tit ? reprit-elle, sans attendre la réponse de Flora.

— Le multi accueil, expliqua Flora, ravie. J'ai une place sur les horaires en deux-huit. C'est bien hein ?

L'autre hocha la tête :

— Ouais. Moi, quand ils étaient petit, y'avait pas tout ça et quand j'étais du matin, je les laissais dans la voiture. À la pause, je les emmenait à l'école ou chez la nounou. Ça existait pas les gardes de nuit pour les mamans qui travaillent en deux-huit.

Flora frissonna à l'idée de laisser son bébé plusieurs heures dans la voiture :

— Et ils disaient rien ?

— Ben non, rit Nathalie. À cette heure, ils dorment bien, les mioches. Parfois, l'hiver, quand le contremaître était dans son bureau, y'en a une qui sortait pour allumer le chauffage dans les voitures où c'est qu'les enfants dormaient pis elle les éteignait avant de revenir travailler...

— Quand il gelait dur, on avait peur de les retrouver tout froid, s'écria-t-elle avec une terreur rétrospective dans la voix. Des fois, on en plaisantait mais c'était dur...

Elle tressaillit à se souvenir et Flora sentit ses yeux la piquer mais Nathalie n'ajouta rien.

Le bus s'arrêta sur le parking de l'usine et tous descendirent avant de rejoindre les ateliers. Au vestiaires, toutes enfilèrent une blouse, des gants et un casque mais Nathalie laissa le sien dans son casier en disant à Corinne :

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant