S'étonnant de ne pas voir Flora, Marcus composa son numéro dès qu'Alex fut parti mais personne ne répondit et il lui laissa un message pensant qu'elle avait dû s'attarder chez l'un de ses protégés. Il passa la soirée seul, agacé qu'elle ne prenne pas la peine de le prévenir de son retard. A onze heures du soir, pourtant, après un long entretien avec un client aux Etats-Unis, il s'inquiéta et prit un taxi pour aller chez elle.
Inquiet, il grimpa les sept étages, certain à présent que Flora l'aurait prévenu si elle avait eu un empêchement et frappa à sa porte. Comme il n'entendit aucune réponse, il alla frapper chez Irène. La vieille dame poussa un petit cri, puis il vit un rai de lumière passer sous la porte et entendit des pas.
— C'est qui ?
— C'est moi, Marcus. Ouvrez Irène, chuchota-t-il.
Le verrou tourna avec un grincement, puis la clé tourna et Irène apparut, coiffée d'une charlotte et vêtue d'une longue chemise de nuit rose.
— Entre Marcus, je me remets au chaud... fit-elle en se recouchant après lui avoir désigné la chaise pliante.
— Je cherche Flora, lança-t-il, sans penser à s'asseoir. Elle n'est pas chez elle...
La vieille dame haussa les sourcils et ils disparurent sous la charlotte.
— Elle n'est pas allée chez toi cet après-midi ?
— Non. Je l'ai attendue mais elle n'est pas venue... Il faut retrouver Flora... Où a-t-elle pu aller ? Elle a peut-être eu un accident ?
À présent, il paniquait et se sentait coupable de ne pas s'être soucié d'elle plus tôt. Il avait était vexé par son silence et n'avait pas réagi !
— Attends. Je vais l'appeler moi-même, passe-moi mon téléphone, il est là, sur la commode.
Marcus attrapa le portable recouvert d'une housse en crochet.
— Flora ?
Il entendit une voix grésiller dans l'appareil d'Irène puis celle-ci demanda :
— Tu peux venir me voir maintenant ?
Flora répondit quelque chose qu'il n'entendit pas.
— Viens vite, ordonna Irène, la porte est ouverte. Elle raccrocha et, se tournant vers Marcus elle ajouta : elle arrive.
La porte s'ouvrit aussitôt et Flora eut juste le temps d'entrer avant d'apercevoir Marcus, debout derrière la porte, en face du lit de la vieille dame.
— Marcus !
Flora paraissait choquée et lança à sa voisine un regard de reproche.
— Il s'inquiétait ma chérie, expliqua Irène, conciliante. Je n'allais pas le laisser appeler la police et les hôpitaux de Paris non ?
— Flora... murmura Marcus, surpris par cet échange.
— Allez, Flora, le coupa Irène. Dis-lui maintenant exigea la vieille dame. Dis-lui. Ça le concerne autant que toi.
Marcus dévisagea les deux femmes l'une après l'autre, cherchant à deviner de quoi voulait parler Irène.
— Que...
— Dis le lui, ou je m'en charge moi-même ! menaça la vieille dame.
— J'attends un bébé, souffla Flora, les yeux fixés sur ses pieds nus.
— Quoi !
Marcus sursauta.
— Ce n'est pas le mien, s'énerva-t-il. Nous utilisons toujours enfin... Il ne peut pas être de moi...
Il jeta un regard furibond à Flora appuyée à la porte close et dont les yeux brillaient de larmes.
— Pas vrai Flora ? insista-t-il.
Elle hocha la tête et les larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Marcus sentait la colère monter en lui car il avait l'impression qu'elle utilisait ses larmes pour l'amadouer : c'était un coup bas.
— Ce n'est pas mon enfant, Flora. Tu sais très bien que nous n'avons pris aucun risque. J'ai toujours...
La jeune femme le regarda droit dans les yeux, des larmes roulaient sur ses joues sans s'arrêter.
— C'est vrai, Marcus, articula-t-elle. Il n'est pas de toi.
Pendant un bref instant, le jeune homme crut lire un certain soulagement dans son expression.
— Je suis désolée... reprit-elle, les yeux baissés.
Irène, fronça les sourcils, arbora un air scandalisé mais ne prononça pas un mot. Marcus, qui avait l'impression que le ciel lui tombait sur la tête et s'était tourné vers Flora, n'y prêta pas attention.
— Tu as... Tu as couché avec un autre ? Tu as...
Il n'en revenait pas... Pendant toute cette période où il faisait de son mieux pour la conquérir, Flora avait un autre amant, Flora, sa Flora l'avait trompé ! Il se sentait berné, humilié... Peut-être même que sa vieille voisine était au courant depuis le début lorsqu'elle lui prodiguait des soi-disant conseils pour lui permettre de la séduire... Il observa Flora sans parvenir à croire qu'elle ait pu le tromper autant mais sa culpabilité était inscrite sur son visage ruisselant de larmes. Il avait la sensation qu'il aurait pu la frapper mais son bras retomba le long de son corps en même temps que son cœur sombrait. Sans un mot, il écarta Flora de la porte où elle se tenait toujours, la franchit et la referma derrière lui.
Marcus ne sut jamais comment il avait regagné sa maison. Avait-il marché dans la nuit ? Avait-il pris un taxi ? Il n'en gardait aucun souvenir. Arrivé chez lui, il se servit un verre de whisky, puis un autre et encore un autre...
Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était presque midi, il avait mal à la tête et sa bouche était pâteuse. Pendant un instant, il ne se rappela plus les événements de la nuit et se demanda pourquoi il était si malade, puis, tout lui revint en mémoire et en particulier la trahison de Flora. Maintenant qu'il était capable de réfléchir, il comprenait qu'elle l'avait trahi deux fois : d'une part parce qu'elle avait un amant bien avant Noël pendant que lui, Marcus, faisait tout pour la séduire et aussi parce qu'elle avait sans doute continué à le voir depuis. Qui était-ce ? Sélim peut-être ? Le jeune serveur avait très bien pu revenir la voir et Flora étant Flora elle l'avait une fois de plus... laissé faire, comme elle l'avait fait avec lui, le jour de l'enterrement de Cousine Laurine...
Et maintenant il y avait ce bébé... Marcus ne se sentait pas du tout prêt à être père... et encore moins à assurer la paternité de l'enfant d'un autre... D'ailleurs, son histoire avec Flora était encore trop incertaine pour qu'il puisse s'engager de cette manière avec elle. Maintenant qu'elle lui avait montré à quel point son attachement était fragile, il s'autorisait à se dire qu'elle n'était sans doute pas la femme qu'il lui fallait : Flora n'était pas assez sophistiquée pour lui et puis, elle était trop... et cela l'avait toujours effrayé.
Il aurait dû être soulagé que leur histoire se termine de cette manièremais le soulagement n'était pas le sentiment qui dominait dans le maelström d'émotionsqui le submergeait. C'était plutôt le désespoir, une impression de vide incommensurablequi l'avait envahi depuis que Flora lui avait annoncé sa grossesse et qu'il luiavait signifié la rupture.

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Les yeux noirs
Roman d'amourFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...