Cette veillée de Noël fut un succès et le repas qu'ils avaient concocté une vraie réussite. Marcus prenait plaisir à la voir goûter de tout et à s'extasier sur les plats qu'ils avaient préparé ensemble. À travers les yeux de Flora, il avait l'impression de découvrir le bonheur et toutes les chose auxquelles il était si habitué qu'il en était devenu blasé.
— Pourquoi est-ce que tu ne cherches pas un autre emploi que femme de ménage ? lui demanda-t-il lorsqu'elle eut terminé son dessert.
— Parce que je ne sais rien faire d'autre, s'amusa-t-elle. J'ai arrêté mes études en première, je n'ai même pas passé mon bac.
— Ah bon ?
Il se souvenait qu'elle avait évoqué ce sujet avec cousine Laurine, des mois auparavant.
— Maman ne voulait pas, répondit Flora. Irène pense qu'elle a eu tort... Je crois surtout que ma mère avait peur que je rate, elle a préféré m'éviter cette déception.
— Drôle de raisonnement. Peut-être que tu aurais eu ton bac.
— Je ne crois pas. Maman me dit toujours que je ne suis pas faite pour les études. Elle me connaît bien tu sais.
— Mmmmh. Et elle, elle en a fait, des études ?
— Oh non ! Tu sais, à seize ans elle était enceinte de moi, à dix-sept elle a accouché... Par chance, elle a rencontré mon père en sortant de la maternité... Sinon... Elle aurait dû m'élever seule.
— Tu veux dire que... Enfin... ton père n'était pas ...
— Non. Papa n'était pas mon géniteur. Flora lui lança un regard acéré et ajouta : ce n'était pas important pour lui. Il était comme un père pour moi. Il m'a toujours considéré comme sa fille... D'ailleurs, il m'a reconnue. Je porte son nom.
Il y avait une telle fierté dans le ton de Flora que Marcus se sentit ému. Est-ce qu'un jour, un enfant, son enfant, serait fier de porter son nom ?
— De quoi est-il mort ? demanda-t-il, repoussant ces étranges interrogations.
— D'une crise cardiaque. Parfois, je me dis qu'il aimait trop, il aimait trop maman et ça l'a tué.
— Comment ça ? Comment pouvait-il trop aimer ta mère ?
Flora allait-elle lui parler de sa mère ?
— Et bien... maman avait besoin d'être aimée, d'être admirée... Elle sortait beaucoup et papa me gardait... Maintenant que je suis adulte, je pense qu'elle n'était pas toujours très... sage... enfin...
Flora avait l'air gêné de parler des infidélités de sa mère.
— Je vois.
— Ne la juge pas mal, Marcus. Maman est comme une petite fille parfois. Lorsque je vais la voir, j'ai l'impression que nous devrions inverser les rôles. Elle m'aime tu sais mais elle a eu une enfance très difficile. Un jour, elle m'a raconté...
Flora s'interrompit et Marcus demeura silencieux. Il craignait de trop parler et d'interrompre ses confidences.
— La mère de maman se droguait, expliqua Flora au bout d'un long moment. Quand maman était chez elle, elle ne s'occupait pas du tout d'elle. Elle ne pensait qu'à sa drogue alors maman restait seule parce que ma... enfin, sa mère n'était jamais là. Je veux dire... Elle était là, elle était dans l'appartement mais elle ne pensait qu'à sa drogue et quand elle l'avait prise, elle ne pouvait pas être attentive non plus...
Marcus hocha la tête : l'enfance de la mère de Flora avait dû être horrible.
— C'était dangereux pour elle, tu ne crois pas ? s'enquit-il.

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...