Chapitre 46

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Quelques instants plus tard, Flora entendait la porte en bois claquer derrière lui et elle soupira. Je ne suis pas très jolie avec mon gros ventre... Et puis, il a du travail, c'est normal... Il faut bien qu'il le fasse. Elle se leva avec des gestes lents pour rapporter son verre et comme Claudine n'était pas dans la cuisine, elle le posa dans l'évier. Comme elle n'avait plus le cœur à dormir au soleil, elle monta-t-elle les escaliers marche après marche et franchit la porte de sa chambre. Devait-elle rester ou partir ? Elle voyait bien que Marcus n'avait plus envie d'elle. Cela faisait plus de trois semaines qu'elle était chez lui et ils n'avaient pas eu plus de cinq minutes pour se parler. Il partait très tôt et rentrait très tard tous les jours.

Quand le médecin venait, Marcus demandait à Claudine de lui rapporter ses conclusions mais ne prenait pas le temps d'en parler avec elle, Flora. Sauf cette après-midi... Cette après-midi, il m'a parlé, il m'a caressée... Il m'a dit qu'il voulait que je reste et qu'il paierait mon loyer pour que je puisse avoir un chez moi. La solution paraissait bonne à Flora. Ainsi, quand il trouverait une vraie femme... Mais ça va coûter cher... Un loyer pour quelqu'un qui n'habite pas là ?... C'est pour cela que je ne m'attarderai pas trop longtemps ici.

Allongée sur son lit, dans la chambre rose où ils s'étaient si souvent aimés Flora essayait d'imaginer le jour où elle quitterait la maison. Ce sera dur mais avec le bébé nous trouverons la force... Et puis, il ne m'aime déjà plus... Il a beau dire, s'il m'aimait, il aurait vraiment envie de faire l'amour avec moi...C'est vrai que je ne suis pas bien jolie aussi grosse et bientôt, il aimera quelqu'un d'autre... Si je vois qu'il est plus heureux avec... Elle chercha le nom de la jeune femme du magazine... avec Cindy, ce ne sera pas du tout difficile de partir... Puisque j'aurai mon bébé. Mais au fond d'elle-même, Flora savait que c'était faux, qu'elle aimait trop Marcus pour être un jour capable de le quitter. Il me faudra beaucoup, beaucoup de courage pour partir quand il sera amoureux pour de vrai.

***

Marcus n'avait aucun rendez-vous et, quand il arriva, les rares employés qui travaillaient dans son entreprise en juillet étaient sur le départ. Il s'installa à son bureau, la tête dans les mains, incapable de regarder ses courriels ou de relire le moindre contrat car son corps était tendu de désir. Pour se calmer, il se remémora sa conversation avec Léa Boisdeaufray et son excitation s'apaisa. À la fin de leur discussion, ils avaient convenu à demi-mot que si Flora acceptait de rester avec lui après la naissance, en plus de payer son loyer, il lui offrirait un collier qu'elle avait admiré dans la vitrine d'un bijoutier.

La joie quasi puérile de Léa Boisdeaufray l'avait écœuré mais lorsqu'elle avait applaudi, comme une gamine, il avait compris que c'est ce qu'elle était, en réalité. Il se remémora une conversation qu'il avait eu avec Flora. Elle avait dit : « Maman est comme une petite fille parfois. Lorsque je vais la voir, j'ai l'impression que nous devrions inverser les rôles. »

Il songea alors qu'il avait senti bouger le bébé. Pour la première fois depuis qu'il avait appris la grossesse de Flora, des mois auparavant, il commençait à penser à son enfant, son fils ou sa fille, comme une part de lui-même et à l'aimer, indépendamment de sa mère. Puis ses pensées dérivèrent sur son propre comportement et il sentit le rouge lui monter au visage : si Claudine n'était pas arrivée, j'aurai été capable de la prendre sur la terrasse... Alors qu'elle est enceinte, et si fragile, si fatiguée ! Il vaut mieux que je garde mes distances... Pour l'instant...

Marcus revint à la maison vers vingt-et-une heure et Flora dormait déjà. Tout en se préparant à se coucher, il songea à la scène de la terrasse, l'après-midi même. Maintenant il savait qu'elle n'allait pas partir tout de suite et il en était soulagé. Apparemment, elle ne lui en voulait pas de son abandon. Il n'avait plus à craindre qu'elle parte avant l'accouchement.

Le dimanche, Marcus resta avec Flora. Elle avait l'air las mais, en sa présence, elle semblait détendue. Il faisait de son mieux pour ne pas la toucher car il craignait sans cesse de perdre son contrôle et s'il adorait son corps avant la grossesse, elle était encore plus jolie enceinte. Ses cheveux n'avaient jamais été aussi brillants et doux, sa poitrine s'était arrondie et la vue des mamelons qui pointaient sous son tee-shirt l'excitait plus que jamais. Quand il n'arrivait plus à se contrôler, il posait une main sur son ventre et faisait mine de vouloir sentir les mouvements du bébé.

Une fois, il posa sa main sous le tee-shirt mais s'en repentit aussitôt. La peau satinée, tendue l'excita plus que tout et il eut toutes les peines du monde à s'écarter quand il devint évident que le bébé dormait. Par moment, Flora touchait son bras ou caressait sa joue... mais Marcus faisait son possible pour rester impassible et elle n'insistait jamais longtemps. Elle doit être fatiguée, la pauvre, pensait Marcus avec un soupçon de regret.

***

Léa descendit du taxi et traversa le trottoir pour entrer au Select. Ce soir, elle allait peut-être rencontrer le grand amour. Un homme qui lui plairait, même s'il n'était pas très riche ou très beau. À présent que Marcus paierait son loyer et que l'argent des photos lui permettrait de s'acheter des vêtements décents, elle pourrait vivre sans souci financier.

En s'asseyant à une petite table, près du bar, elle aperçut un homme accoudé au comptoir qui l'observait. Il y avait une lueur admirative dans son regard et elle lui adressa un sourire timide en baissant les paupières. Le serveur apporta un nectar de pêches et elle en prit une gorgée avant de le regarder à nouveau, du coin de l'œil. Il était bien de sa personne : pas très grand mais mince avec un nez droit autant qu'elle pouvait distinguer ses traits dans la pénombre du bar. Et si elle tentait quelque chose avec ce type ? Elle frissonna en prenant conscience qu'elle n'avait pas la moindre envie de le draguer. Pourquoi ? C'était tout à fait son type, d'habitude alors pourquoi hésitait-elle ? Ne devait-elle pas se dépêcher avant qu'une des filles du Select ne prenne les devants ?

Bizarrement, elle songea à Albert puis à Thierry. Pourquoi repensait-elle encore à cet homme qu'elle n'avait pas revu depuis presque trente ans et qu'elle ne reverrait jamais ? Prise d'une angoisse soudaine, Léa sortit son téléphone et contempla des photos d'elle, prises par Albert, ces photos que l'homme d'affaires chilien avait acquises et qui lui valaient son aisance financière. Regarder ces clichés l'apaisait, calmait cette pointe qui comprimait son estomac sans qu'elle en comprenne la raison.

En contemplant les images, elle avait l'impression qu'il y avait deux Léa, ou plutôt, ces photos lui permettaient de faire un lien entre les deux Léa qui cohabitaient en elle depuis si longtemps.

— Puis-je me joindre à vous, madame ?

À regret, Léa détacha son regard de l'écran de son téléphone et observa le type : c'était celui qui la regardait, depuis le bar, un moment auparavant. Elle lut de l'admiration dans son regard et s'apprêta à accepter :

— Non. Je suis désolée monsieur. Ce soir, je ne suis pas seule.

Non. Elle n'était plus seule.

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant