Chapitre 32

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Adossée contre le placard d'Irène, Flora avait les yeux clos et sentait les larmes qui continuaient à rouler sur ses joues.

— Pourquoi tu lui as menti ? lui demanda Irène lorsque les pas de Marcus eurent cessé de résonner dans le couloir.

Le ton était curieux, comme si Irène approuvait sa décision.

— C'est mieux comme ça Irène... sanglota-t-elle. Marcus ne veut pas de bébé... Tout sera plus simple pour lui s'il pense que ce n'est pas le sien... Il m'en voudra un peu et puis il m'oubliera... Moi, j'aurai mon bébé et lui, il sera heureux, libre et heureux. Il va trouver une femme plus belle que moi, plus intelligente... Et comme il est en colère il n'aura pas de mal à faire une croix sur moi puisqu'il ne regrettera rien. Moi, j'aurai mon bébé... J'aurais mon bébé...

Pendant une seconde, un sourire rayonnant éclaira le visage de la vieille dame.

— Mais tu n'auras plus Marcus... observa-t-elle, comme à contrecœur. Il ne va pas te manquer ?

— Si... Si... Mais j'aurai mon bébé... C'est comme un cadeau un bébé, Irène, une merveilleuse surprise. Je vais être heureuse avec lui. Tu sais bien que Marcus, il m'aurait quittée à un moment ou un autre... il ne voulait pas d'enfant. Et puis, je ne suis pas son genre de fille : un jour ou l'autre, il en aurait eu assez de moi. Je ne suis pas très jolie, même si j'ai un peu grossi. Je savais depuis le début que je n'avais aucune chance...

— Toi aussi, tu le pensais, Irène, chuchota-t-elle à travers ses larmes en lui adressant un regard complice. Tu ne me l'as déjà dit plusieurs fois, pas vrai ?

La vieille dame baissa la tête. Elle avait l'air coupable mais Flora ne chercha pas à comprendre pourquoi parce qu'elle-même était trop malheureuse.

— Alors qu'on se sépare un peu plus tôt ou un peu plus tard... continua Flora, ce n'est pas le plus important... Ce qui compte, c'est que là, j'ai un bébé. Mon bébé. Le bébé de Marcus. Peut-être qu'il ressemblera à son père. Ce serait bien pour lui parce que Marcus est si beau...

Tandis qu'elle parlait, les larmes continuaient à inonder ses joues et des sanglots entrecoupaient son discours. Irène avait un air coupable que Flora ne comprit pas.

— Ne t'inquiète pas, Flora, tu pourras compter sur moi pour te garder ton petit, promis Irène, les yeux fixés sur ses mains.

— Merci, Irène, c'est merveilleux.

Au matin, Flora se sentait plus sereine et elle resta allongée sur son lit pour réfléchir : tout irait bien : elle allait avoir un bébé et elle ne serait plus jamais seule. Mais alors, pourquoi, depuis son réveil, n'arrivait-elle pas à empêcher les larmes de déborder de ses yeux ?

Le samedi suivant, Flora annonça la nouvelle à sa mère qui, sans surprise, se montra furieuse.

— Tu attends un enfant ? J'espère que tu as pris rendez-vous pour avorter ? Tu sais que tu dois aller voir un médecin ?

— Mais je ne veux pas avorter maman. Je veux le garder. C'est le bébé de Marcus. Tu te rends compte ? Je vais avoir son bébé !

— Et lui ? Il est content ?

— Non. Il ne veut pas de bébé. Il est parti. Mais ça m'est égal. Je vais garder le bébé. Mon bébé.

En parlant à sa mère, pour la première fois, Flora eut la certitude qu'elle avait raison et qu'elle ne changerait pas d'avis. Avoir un enfant était sans doute une des choses qu'elle voulait le plus au monde et il était hors de question qu'elle laisse passer sa chance ! Et le fait que ce soit l'enfant de Marcus la transportait de bonheur.

— Tu ferais mieux d'avorter et de rappeler Marcus. Comment tu vas élever un bébé toute seule ? Tu en es incapable et ne compte pas sur moi pour le garder.

— Je verrai. Je trouverai une solution. Irène, ma voisine, est prête à m'aider.

— C'est ridicule ! La vieille folle obèse dont tu me parles à tout bout de champ ? Celle qui n'est pas fichue de faire ses courses toute seule ? Tu plaisantes ?

Flora comprit que sa mère s'énervait mais elle n'avait pas peur de la décevoir et elle savait que même pour lui faire plaisir, elle ne cèderait pas à sa demande.

— Ça n'aurait pas dû t'arriver Flora, reprit-elle, plus calme. Je t'avais expliqué, pourtant, comment faire pour ne pas tomber enceinte. Mais tu ne peux pas suivre mes conseils et voilà. Tu te retrouves enceinte et seule alors que tu avais un amant si riche ! Tu vas rester dans le seizième j'espère ?

Flora se troubla. Si elle envisageait avec plaisir de partager son fils ou sa fille avec Irène après la naissance, elle avait voulu faire le point sur les aides auxquelles elle pourrait prétendre et avait pris rendez-vous avec l'assistante sociale de la mairie.

— Non, maman, expliqua-t-elle. Ce n'est pas possible. Il n'y a pas de chauffage alors je dois déménager. Mais l'assistante sociale de la mairie m'a dit qu'elle me trouverait un appartement, un endroit adapté pour un bébé...

— J'espère qu'elle va te trouver quelque chose dans un beau quartier, riposta Léa... La place des Vosges, c'est très joli, tu sais...

— Oh, non, maman, l'interrompit Flora. Elle m'a dit qu'il faudrait que je m'éloigne de Paris. Ce n'est pas grave...

— Pas grave ! s'insurgea sa mère. Tu plaisantes ? Tu ne vas pas quitter Paris ! Si tu habites en banlieue, tu n'existes plus. C'est simple, tu n'existes plus, martela Léa. Et, ne compte pas sur moi pour aller te voir, poursuivit-elle, tu sais très bien que j'ai horreur de prendre les trains de banlieue.

Elle se tut un instant, observant une fois de plus son reflet dans le miroir suspendu en face de son fauteuil.

— Albert m'a promis que nous irions à Venise par l'Orient-Express... ajouta-t-elle. C'est si romantique !

— Le photographe ?

Distraite un moment de ses soucis, Flora observa sa mère. C'était la première fois, à sa connaissance, que Léa restait plus de quelques semaines avec un homme. Or, il semblait que sa mère était avec Albert depuis plusieurs mois... Elle avait changé, d'ailleurs, depuis quelques temps. Flora n'aurait pas su dire en quoi mais sa mère se montrait plus douce, moins... coupante...

— Mais oui, le photographe ! Il passe son temps à me prendre en photo et veut me prendre en photo place St Marc...

— Je crois qu'il a de l'argent...murmura-t-elle, pensive après un silence. Il n'est pas riche, riche mais il a de l'argent. Et il est adorable avec moi...

Flora observa sa mère, lovée dans son fauteuil préféré, le regard fixé sur le miroir suspendu en face d'elle et baissa la tête. À cet instant, même porter le bébé de Marcus ne la consolait pas de l'avoir perdu pour toujours mais elle préféra ne pas l'avouer. Léa aurait insisté pour qu'elle se fasse avorter et cela, Flora n'arrivait même pas à l'envisager !

— Enfin, cette histoire avec Marcus Chevalier est bien finie, lança sa mère en souriant. J'avais raison, hein, ma chérie, de te prévenir qu'il allait te laisser tomber, j'avais raison, hein ?

— Peut-être que je te présenterai Albert un de ces jours,poursuivit sa mère sans sembler s'apercevoir qu'elle était prête à pleurer. Tu verras,il est charmant. Et j'adore ses photos !

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant