Chapitre 38

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Marcus franchit l'entrée en quelque pas et ouvrit lui-même la porte. La mère de Flora lui envoya un baiser du bout des doigts et il entendit la porte se refermer doucement tandis qu'il redescendait l'escalier.

Une fois dehors dans une rue animée et ensoleillée du douzième arrondissement Marcus se trouva incapable de se rappeler comment il avait franchi la sombre rue de la petite Fosse pour gagner cet endroit bien éclairé. Son esprit bondissait sur tout ce qui l'avait choqué dans les paroles, l'attitude, la tenue vestimentaire et les gestes de Léa Boisdeaufray. Il était incapable de réfléchir de manière rationnelle mais, en toile de fond, la seule chose dont il avait conscience et sur laquelle son cerveau buttait comme un mur c'était qu'il ne savait toujours pas où trouver Flora.

Il ne sut jamais combien de temps avait duré sa visite, mais il était dix-neuf heures passées quand le taxi qu'il avait hélé le long d'un boulevard du dixième arrondissement le déposa rue Champredin.

Avant cela, il avait marché au hasard, arpentant sans les voir les rues et les avenues de Paris. Il pensait être passé place de la Bastille mais n'en était pas tout à fait sûr, les bribes ignobles du discours de la mère de Flora envahissant son esprit comme des poussées de fièvre.

Comment Flora qui était l'amour personnifié pouvait-elle avoir une mère comme Léa Boisdeaufray ? Comment était-ce possible ? Elle avait dit « ne vous inquiétez pas pour votre enfant... ». Flora portait-elle son enfant ? Mais pourquoi aurait-elle menti ?

— J'ai craint que tu ne sois en retard pour le dîner et que le saumon soit trop cuit, expliqua-t-elle sans croiser son regard.

Marcus dîna en silence. Il était en colère contre lui-même et chaque minute le rendait de plus en plus furieux. Tout en buvant le délicieux vin blanc choisi par Claudine, il faisait la liste de tout ce qu'il avait raté avec Flora, cherchant, comme à plaisir, les erreurs et les vilénies qu'elle avait supportées à cause de lui : il l'avait oubliée alors qu'elle lui avait sauvé la vie, dans le froid de sa chambre de bonne, dans ses problèmes et sa pauvreté... Ensuite, il l'avait baisée brutalement, cet après-midi-là, après les obsèques de cousine Laurine... Et enfin, il l'avait abandonnée quand elle avait le plus besoin de lui, quand elle était enceinte ! Pire que tout, il l'avait crue quand, pour lui faire plaisir – c'était clair comme l'eau de roche –, elle lui avait dit que l'enfant qu'elle portait n'était pas le sien.

Tout concordait, il était bien le père de son bébé... « Flora est fidèle » avait d'ailleurs dit Léa Boisdeaufray. C'était peut-être la seule chose vraie qu'elle lui avait révélée. Mais pourquoi, pourquoi Flora ne m'a-t-elle pas dit que j'étais le père de son enfant ? Il soupira : elle a préféré me raconter ce que j'avais envie d'entendre pour ne pas m'embarrasser... Que de fois ne m'a-t-elle pas dit qu'elle n'était pas mon genre de femme, qu'elle n'était pas assez bien pour moi, qu'il me fallait une « vraie » femme... Et tous les samedis, quand elle faisait le ménage chez sa mère, elle écoutait cette horrible mégère lui démontrer qu'elle n'était pas digne de moi... et moi ? Est-ce que je ne l'ai pas pensé aussi ? J'ai eu honte d'elle parce qu'elle n'était pas conforme aux stéréotypes de mon milieu ? Parce qu'elle ne brillait pas par sa beauté ou par son parcours universitaire...

Il devait s'avouer qu'il n'avait jamais pensé passer sa vie avec une femme comme elle et quand elle lui avait annoncé sa grossesse... il avait eu peur. L'enfant l'aurait obligé, d'une certaine manière, à prendre une décision qu'il n'était pas prêt à prendre à ce moment-là. Celle de s'engager avec Flora... À présent il prenait conscience que le talent de Flora était son amour pour les autres... Flora avait un cœur intelligent et généreux et qu'y avait-il de plus précieux ?

Claudine le regardait d'un air soucieux et lui demeurait immobile, la fourchette en l'air, au-dessus de son assiette pleine.

— Ton voyage aux États-Unis ne s'est pas bien passé ? finit-elle par lui demander.

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant