Chapitre 22

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Assise sur son fauteuil préféré, Léa contempla la photo qu'Albert Méchignac lui avait envoyé sur son portable et sourit. Elle aimait les clichés qu'il prenait d'elle et qu'il lui envoyait. Sur ces images, elle avait toujours l'air d'une grande dame, elle était parfaite. Ils s'étaient revus toutes les semaines depuis qu'il était venu se présenter à elle, place Vendôme et elle adorait chaque moment passé en sa compagnie. Albert voulait juste l'admirer. La photographier. Il avait une petite voiture et l'avait emmenée à Montmartre, sur la tour Eiffel, à Versailles et dans les rues de Paris. Partout, il l'avait prise en photo, cherchant à rendre justice à sa beauté, comme il le disait lui-même et Léa chérissait ces moments. Elle ne se lassait jamais de prendre la pose, d'avancer d'un pas, de se pencher un peu plus à droite, ou à gauche pour qu'un rayon de soleil vienne faire briller ses cheveux. C'était étrange mais Albert semblait la comprendre aussi bien qu'elle-même, il connaissait son meilleur profil, lui demandait de faire sa petite moue, de relever le menton, d'écarquiller les yeux pour qu'ils soient plus brillants.

Levant les yeux, Léa rencontra son image, dans le miroir suspendu sur le mur, en face d'elle et, à sa surprise, son reflet la laissa indifférente. Pourtant, ce jour-là, ses yeux noirs étaient plus veloutés que jamais... Mais elle préférait la photo d'Albert. Sur cette photo, c'était vraiment elle et le regard sombre qu'il avait capturé était vraiment le sien... Elle sursauta en entendant gratter à la porte et Flora traversa la minuscule entrée avant de se pencher sur elle pour l'embrasser. Léa observa sa fille et fut surprise, une fois de plus, de voir qu'elle était moins laide que d'habitude. Bien sûr, elle n'était pas belle, mais ses cheveux étaient plus longs et brillants et elle avait un peu plus de formes...

— Bonjour maman, tu vas bien ?

— Oui. Très bien. Je continue à voir Albert.

Léa regretta de ne pas pouvoir présenter Flora à Albert mais ce n'était pas envisageable : Albert était vieux et gros ; que penserait sa fille si elle savait qu'elle passait du temps avec lui ?

— Et toi ? demanda-t-elle pour ne pas s'attarder sur ce sujet qui la rendait mal à l'aise. Comment vas-tu ? Tu as l'air en forme...

— Oui. Je suis bien en ce moment, fit valoir Flora avec un sourire.

— C'est parfait alors. Tu sais, après-demain, pour Noël, Jean-Paul et moi allons passer trois jours au Maroc. Je vais revenir toute bronzée.

— Je suis très contente, maman.

Devait-elle demander à Flora ce qu'elle ferait ? Et si sa fille lui disait qu'elle était seule ? Pas question de l'emmener au Maroc ! Elle préféra changer de sujet :

— Et puis, la semaine d'après, j'ai un contrat d'une semaine au parc des Expositions, à Versailles. C'est pour le salon du bien-être et de la beauté. Je vais recevoir les visiteurs... J'aurais un tailleur qui me fait une taille ultra-fine... Tu verrais ça !

Elle songea à Albert qui lui avait promis qu'il viendrait prendre des photos d'elle, au salon, dans ce tailleur.

Flora lui sourit et elle la trouva presque belle. Après tout, sa fille pourrait peut-être trouver quelqu'un, un jour. Tout n'était peut-être pas perdu...

Plus tard, tandis que Flora s'activait à faire le ménage de son appartement, Léa s'assit sur le canapé pour observer à nouveau les photos d'Albert. Elle aimait la lueur qu'il arrivait à mettre dans son regard, décida-t-elle. Cet éclat n'apparaissait pas dans son reflet, dans le miroir, et ça lui paraissait très étonnant. Avec un sourire attendri, elle observa un selfie qu'Albert lui avait envoyé, la veille, de Bucarest. Sans pouvoir se l'expliquer, elle aima son visage, ses cheveux blancs, ses rides autour des yeux. L'arrêt de l'aspirateur la tira de sa rêverie et Flora lança d'une voix un peu brusque :

— Je serai chez Marcus à Noël, il m'a invitée chez lui.

— Marcus ? s'étonna-t-elle, croyant avoir mal entendu. Pas Marcus Chevalier quand même ?

Flora hocha la tête et Léa eut l'impression que le monde s'écroulait autour d'elle : comment un homme aussi séduisant et riche que Marcus Chevalier pouvait-il s'intéresser à sa fille ? Elle chercha une explication à voix haute :

— Tu veux dire qu'il organise un repas pour sa vieille tante et qu'elle t'a invitée avec lui ?

— Non, maman, je t'ai dit que sa cousine est morte cet été... expliqua Flora en secouant la tête. Non, nous serons tous les deux, chez lui.

Léa ferma sa bouche qui était restée ouverte et devait l'enlaidir. Soudain, elle eut envie de se remettre sur son fauteuil pour s'assurer qu'elle était toujours aussi belle.

— Vous êtes... ensemble ? se força-t-elle à articuler pour ne pas montrer à Flora à quel point elle était malheureuse.

Flora acquiesça en silence.

— Pour lui, c'est une passade, Flora, voilà tout, lâcha Léa, furieuse. Ne t'imagine surtout pas que quelque chose de sérieux puisse arriver entre vous... Marcus Chevalier est un amateur de belles femmes et il peut avoir qui il veut. Il a jeté son dévolu sur toi pour quelques temps mais ça ne durera pas !

— Je sais, maman, murmura Flora tandis que son visage se crispait légèrement. Je sais. Il est si beau. Il devrait être avec... Sa voix se cassa mais elle termina : une vraie femme, n'est-ce pas ?

Léa ferma les yeux une seconde, rassurée par la réponse de sa fille. Flora savait qu'elle n'avait pas fait la conquête de Marcus. C'aurait été trop injuste qu'elle, si laide, y parvienne tandis que sa mère, si belle, ne garde aucun de ses amants plus de quelques semaines !

Soudain, tous les défauts de Flora lui sautaient aux yeux : comment avait-elle pu la trouver presque jolie ? Sa fille était hideuse et cette certitude la rasséréna.

Lorsque Flora eut terminé le ménage, Léa ne la retint pas. Pour unefois, elle aurait pu l'inviter à déjeuner avec elle : Albert était en Roumanie,et Jean-Paul en week-end dans sa famille, ils ne risquaient donc pas de serencontrer mais elle n'avait pas envie de voir sa fille plus longtemps. Elleprit conscience qu'elle lui en voulait d'avoir réussi à intéresser un hommecomme Marcus Chevalier. Elle trouvait cela si injuste !

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant