En ce matin de juin, Marcus s'éveilla dans la maison de la rue Champredin et s'efforça, comme presque tous les matins, de bannir Flora de ses pensées. Après six semaines passées à Melbourne puis à Sydney, il passait deux jours à Paris avant de repartir dès le lendemain matin pour New-York où il resterait plusieurs semaines.
Pour éviter de trop penser à Flora, après la rupture, il s'était lancé à corps perdu dans les affaires et, après avoir peaufiné son projet de restaurants de luxe en Océanie, il avait décidé de commercialiser des produits de beauté aux États-Unis. La ville phare était bien entendu New York, mais il devait aussi se rendre à Los Angeles, à Miami et à Chicago pour rencontrer les directeurs des nouvelles agences de commercialisation.
Le manque qu'il avait de Flora l'avait déchiré sans relâche les premières semaines mais il s'était accroché à l'idée de sa trahison pour ne pas baisser la garde et répondre aux remarques culpabilisatrices de Claudine par des coups d'œil furieux et des réponses amères. Celle-ci n'avait plus jamais vu reparaître Flora ce qui confirmait Marcus dans l'idée qu'elle avait honte d'elle-même et redoutait de le revoir.
Depuis leur séparation cependant, il ne s'était pas passé une seule journée sans que son souvenir ne l'ait envahi... C'était à chaque fois une sensation intense, violente qui s'emparait de tout son corps et l'empêchait de penser pendant quelques instants à ce qu'il était en train de faire. Au début, ce vide lourd de désespoir le rongeait plusieurs fois par jour et la souffrance lui faisait parfois monter les larmes aux yeux et puis, petit à petit, la douleur s'était assoupie mais quand elle s'éveillait, elle était toujours aussi forte.
En cet instant, encore à moitié endormi, la vague de souffrance l'envahit mais se transforma en un souvenir très doux, le souvenir de cette après-midi de Noël, six mois auparavant. Ils avaient cuisiné ensemble et ils avaient fait l'amour... Pour une fois, Marcus ne parvint pas à repousser pas les images qui s'imposaient à son esprit, et défilaient dans sa tête. Il voulait se faire croire qu'il dormait et qu'il ne pouvait pas repousser ces réminiscences. Pour une fois, – peut-être parce qu'il était dans le lit qu'ils avaient partagé ce jour-là –, il revivait des souvenirs délicieux sans que la souffrance habituelle ne s'insinue en lui. Avec un gémissement, il repensa à leur étreinte, au moment où Flora avait glissé son sexe en elle... Se redressant d'un mouvement brusque, il s'affola : comment avait-il put l'oublier ? Comment ? Cet après-midi-là et le soir encore, après le repas, ils avaient fait l'amour sans préservatif...
C'est ce jour-là qu'il lui avait dit qu'ils devraient en mettre à chaque fois à l'avenir et elle avait répondu qu'elle n'avait pas ses règles, que... Il gémit à nouveau : et si l'enfant avait été conçu ce jour-là ? Mais il repoussa aussitôt cette idée avec force : un jour... un seul jour... Ils n'avaient pas utilisé de préservatif une seule soirée, il était bien improbable que cela ait suffit... D'ailleurs, quand devait naître le bébé ? Il n'en savait rien du tout... et Flora avait dit, chez Irène, que l'enfant n'était pas de lui ! Pourquoi l'aurait-elle dit ?
La colère était revenue avec ce sentiment de vide accablant, de néant, qui l'envahissait chaque fois qu'il pensait à elle... Et les souvenirs de ce fameux Noël ne pouvaient que l'entraîner sur cette pente-là, la pente de la nostalgie stupide et irrationnelle... Car enfin, Flora l'avait trompé. Tout en faisant semblant de l'aimer... Elle n'a pas fait semblant de m'aimer, rectifia-t-il pour être honnête avec lui-même... Elle ne m'a jamais rien demandé pour elle-même et elle ne m'a jamais dit qu'elle m'aimait... Si. Ce soir-là, sur la plage, à Cherbourg... Marcus balaya ces idées. Flora lui faisait peur avec tout cet amour qu'elle irradiait, il voulait l'oublier.
D'ailleurs, voilà où sa nature aimante l'avait menée : à le tromper, à coucher avec un autre, peut-être par pure bonté... Mais si elle n'était pas capable d'être fidèle, il ne pouvait rien y avoir entre eux. Rien. Pas question de s'attendrir, il voulait rester libre et ce long voyage d'affaire arrivait à point nommé. Quand il reviendrait à Paris, il aurait effacé Flora et sa trahison de son esprit, il serait à nouveau libre comme il l'avait été avant Elle.

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...