Les yeux noirs

Chapitre 30

Flora se dirigea comme dans un rêve vers le paravent qui permettait aux patients du docteur Thibault de se rhabiller et enfila son jean et son tee-shirt. « Vous êtes enceinte, madame » avait dit le médecin. Il lui avait même fait écouter le cœur de son bébé. Son bébé. Elle enfila ses chaussures, sans comprendre ce qui lui arrivait. Enceinte. Elle était enceinte. Comme dans un rêve, elle se rassit devant le bureau du médecin qui lui tendit une déclaration de grossesse et une ordonnance pour une prise de sang.

— Vous allez faire un test de grossesse au laboratoire, simplement pour déterminer le terme... Mais il n'y a aucun doute, vous attendez un enfant.

— Mais, je n'ai pas mes règles depuis des années.

Elle était certaine que le médecin se trompait.

— Vous n'avez plus vos règles parce que vous êtes enceinte, voilà tout, rétorqua-t-il. Vous êtes contente ?

— Oui. Oui. Je suis contente.

« Oui, oui, je suis contente »... Une fois dans la rue, Flora marcha à pas lents et laissa les pensées tournoyer dans sa tête. Un bébé. Elle allait avoir un bébé. Elle, Flora. Elle qui était si sûre qu'elle n'était pas assez bien, pas assez femme pour tomber enceinte, elle attendait un enfant. Son cœur battait plus vite à cette idée et son corps devenait de plus en plus léger au fur et à mesure que l'idée prenait corps en elle. Un bébé. C'était bien le bonheur qui l'inondait à cette seule pensée.

Arrivée en haut de l'escalier, elle ne put résister à annoncer la nouvelle à Irène et frappa à sa porte :

— Bonsoir Irène.

— Bonsoir Flora. Alors, qu'est-ce qu'il a dit, le docteur, pour tes nausées ?

— Il a dit que j'allais avoir un bébé.

A la surprise de Flora, au lieu de se réjouir avec elle, Irène fronça les sourcils.

— Il faut que tu ailles le dire à Marcus.

— Marcus ?

— Bien sûr. C'est lui le papa. Il a le droit de savoir, non ?

Flora se cala sur la chaise et ferma les yeux. Bien sûr, c'était Marcus le papa. Serait-il un père aussi merveilleux qu'Etienne l'avait été pour elle ? Son cœur battait fort en y pensant. Son bébé avait un papa.

— Oui, finit-elle par articuler sous le regard interrogateur d'Irène.

Puis Flora réfléchit : comment Marcus allait-il réagir ? Voulait-il un enfant ? Ils n'en n'avaient jamais parlé.

— Tu vas y aller ce soir, affirma Irène, interrompant ses réflexion.

Flora s'affola : avait-elle envie de se confronter tout de suite à la réalité de ce que dirait Marcus ? N'avait-elle pas le droit de rêver, quelques heures encore, à un père idéal pour le bébé dont elle avait toujours rêvé ?

— Pourquoi si vite ? objecta-t-elle.

— Parce qu'il a le droit de savoir tout de suite, assura Irène d'une voix sévère.

Quand Irène avait décidé quelque chose, elle devenait autoritaire pensa Flora qui n'envisagea qu'une seconde de se révolter, d'autant plus qu'Irène faisait une drôle de tête.

— Tu crois qu'il ne sera pas content ? s'enquit-elle, appréhendant tout à coup de devoir parler à Marcus.

— Tu sais, les hommes... répondit-elle, prudente, un sourire énigmatique aux lèvres. Les hommes n'aiment pas trop ce genre de nouvelles, d'habitude, assura-t-elle en pinçant les lèvres... il faut que tu te prépares à ce qu'il soit... mécontent, conclut-elle d'un ton docte en fixant ses mains ridées et couvertes de taches qui gisaient sur ses genoux.