Les yeux noirs

Chapitre 14

Marcus fut surpris de voir le peu de gens qui suivaient le cercueil de Laurine de Clerpont. Voilà. Toute une vie, une longue vie et à peine une dizaine de personnes se pressaient au cimetière, sous la chaleur de cette fin de juillet. Il y avait Flora bien sûr, toute vêtue de noir, Irène sa voisine, M. Claudic, le restaurateur qui lui préparait ses repas. Aux côtés de Flora se tenaient Olivier et Élie, ses voisins. Quant à ses sœurs, Stella et Miranda, il leur avait envoyé un message mais elles n'avaient pas donné signe de vie.

Marcus avait pourtant pensé les voir : elles aussi avaient été élevées par la vieille dame même si elles avaient déjà une dizaine d'année quand Laurine de Clerpont avait été engagée par sa mère. Celle-ci avait pris cette décision à sa naissance parce qu'elle n'avait pas la moindre envie de demeurer à la maison pour prendre soin de lui... C'est donc Cousine Laurine qui avait soigné ses bobos d'enfant, qui lui avait fait réciter ses leçons, qui l'avait applaudi lors des spectacles de fin d'année et lui avait lu des histoires pour l'endormir... Laurine lui avait servi de mère.

Après l'enterrement, Flora entraîna tous ses amis dans le café où servait Sélim et le patron offrit un verre à ceux qui étaient là puis le groupe se dispersa. Marcus s'approcha de la jeune femme et posa sa main sur son bras :

— Merci Flora, merci d'être venue pour lui dire adieu.

Sa voix était éraillée. Il se sentait bouleversé et ne parvenait pas à savoir si c'était parce qu'il la touchait ou parce qu'il avait du mal à réaliser que Cousine Laurine était partie pour toujours.

Elle leva vers lui son mince visage et lui sourit à travers ses larmes.

— C'était important pour moi et et pour tous ceux qui sont venus. Vous voulez venir boire quelque chose chez moi ? Une soupe déshydratée ou du thé noir et amer ?

Cette allusion à son séjour chez elle et à une forme de complicité entre eux émut Marcus qui sourit pour cacher son trouble.

Comme il n'avait pas envie de rester seul il accepta son invitation. L'ascension des sept étages fut supportable, car comme l'indiqua Flora en grimpant les marches, l'escalier était exposé plein nord et n'était jamais étouffant.

— Élie vient même y dormir, quand il a trop chaud et que tout le monde est rentré... Il se met sur le palier du septième et comme il y a un courant d'air il dort comme un bébé !

Une fois chez elle, il s'étonna de trouver sa chambre si semblable à ce qu'il avait laissé. Il retrouva le lavabo, le portant et le panier d'osier dans un coin. Le tabouret était à nouveau couvert de vaisselle. Flora posa le bol et la tasse qui s'égouttaient là sur l'étagère et lui désigna le siège tout en remplissant la bouilloire au robinet. Il faisait beau et la lumière rentrait à flot par la lucarne exposée à l'ouest. Flora prépara le thé et vint s'assoir en face de lui, sur son lit recouvert d'un simple drap. Marcus sentait l'émotion le submerger. Pas plus qu'au café, il n'arrivait à distinguer s'il s'agissait du décès de Cousine Laurine ou si c'était parce qu'il était seul avec Flora dans l'intimité de sa chambre...

Il était bouleversé, ne parvenant pas à croire que la vie de cousine Laurine ait pu se terminer d'un seul coup : en quelques heures, la vieille dame, transportée à l'hôpital par les soins du médecin avait succombé.

Les larmes débordèrent de ses yeux avant même qu'il n'ait eu le temps de les retenir. Il n'essaya pas de les essuyer. Il savait que Flora ne se formaliserait pas de ses pleurs et s'étonna pourtant d'être si à l'aise, de pouvoir être si naturel avec elle.

— Elle était heureuse la veille... l'entendit-il expliquer à travers le brouillard de son chagrin. Elle est morte après la visite de M. Claudic... Vous savez ce petit vieux qui était à l'enterrement... Eh bien il venait lui rendre visite deux fois par semaine, en dehors des parties de cartes. Elle n'était plus seule, elle était heureuse...