Les jours qui suivirent, Marcus reprit ses activités professionnelles en Europe. Il prenait toujours autant de plaisir à impulser de nouveaux projets et à accompagner leur mise en œuvre mais il sentait que quelque chose lui manquait. Il savait ce qui n'allait pas : il avait besoin de Flora, d'être près d'elle. Il n'était pas amoureux, bien sûr. D'abord, ça ne lui était jamais arrivé et il y avait peu de chance que ça lui arrive un jour et ensuite il savait qu'il ne pourrait être intéressé durablement par une femme comme elle.
Il savait ce qu'il cherchait, il connaissait en détail les caractéristiques des femmes qui lui plaisaient et aucune, jamais, n'avait ressemblé à Flora. Lorsqu'ils avaient discuté avec Alex de la femme idéale son ami semblait très sûr de trouver un jour le grand amour mais lui n'y tenait pas. Il aimait sa liberté et même si les femmes comme Cindy Sandor l'ennuyaient vite, la variété lui plaisait.
En prenant son petit déjeuner sous le regard bienveillant de Claudine, il se demandait ce que ce serait d'avoir Flora en face de lui. Elle boirait son thé noir, lui son café, il lui parlerait de son travail de ses projets. Et elle lui raconterait ce qu'elle allait faire dans sa journée... Mais non. Cette idée était extravagante, ridicule. Pouvait-il s'encombrer d'une femme ? Quand on est en couple, on ne peut plus partir plusieurs mois en Australie ou en week-end à New-York...
Pourtant, il pensait à elle souvent, trop souvent, presque tout le temps, même. Son regard sombre, ses cheveux courts l'habitaient en permanence et le soir, quand il ne trouvait pas le sommeil, c'était souvent parce que sa pensée restait attachée à la douceur de ses seins qu'il avait si peu caressés et à ce coït brutal et rapide qu'il lui avait imposé et dont le regret flottait en lui, permanent et amer. La pensée qui le taraudait, surtout, c'était l'intensité du plaisir qu'il avait ressenti. Il avait beau fouiller sa mémoire – et il devait reconnaître qu'il avait couché avec beaucoup de femmes – jamais il n'avait joui comme cet après-midi-là, dans les bras de Flora. Les jours où il était en forme, il se disait que c'était l'émotion due à la mort de cousine Laurine et de l'enterrement qui avait créé les conditions de cette tempête sensuelle... Mais la plupart du temps, il parvenait à s'avouer qu'il y avait peut-être autre chose.
Un soir, deux semaines environ après les obsèques de sa cousine, la conversation qu'elle avait eu avec Sélim lui revint à l'esprit. Lorsqu'il était à moitié inconscient, le jeune homme était venu et elle avait laissé entendre qu'ils avaient couché ensemble... Allaient-ils recommencer ? Sélim lui avait proposé de vivre avec lui... allait-elle accepter ? Elle avait pris du poids depuis leur toute première rencontre le soir de son agression. Et s'il faisait à nouveau sa demande ?
Agacé d'accorder tant d'importance à une conversation qu'il avait juste trouvée comique à l'époque : un homme venant conter fleurette à un laideron, Marcus prit la décision de retourner voir Flora et d'en avoir le cœur net : qu'avait signifié pour elle ce qu'il ne pouvait s'empêcher de considérer comme un demi-viol ? Et lui ? Qu'était-il pour elle ?
Le lendemain était un samedi et il arriva après le déjeuner. Flora était absente et Élie, au bout d'un long interrogatoire, finit par lui dire qu'elle était allée voir sa mère.
— Elle va rentrer bientôt, il faut vous asseoir là avait ajouté le jeune homme en lui tendant un tabouret à trois pieds qu'il avait pris dans sa chambre.
Marcus s'exécuta et attendit en rongeant son frein. Flora arriva au bout d'une heure et demie et parut sidérée de le découvrir dans le couloir. S'approchant de lui, elle l'embrassa sur les deux joues comme s'ils n'étaient pas devenus amants, s'irrita-t-il avant de prendre conscience qu'ils n'étaient pas vraiment des « amants ».
Tandis qu'elle sortait sa clé de sa poche, il observa ses hanches minces et ses petits seins sous son tee-shirt. Étrangement, la vue de ses chevilles nues entre ses tennis et son jean fit circuler son sang un peu plus vite dans ses veines mais il parvint à articuler d'une voix posée :

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...