Les yeux noirs

Chapitre 21

Un lundi, cet automne-là, c'est le cœur en fête que Flora poussa la porte bleue. Marcus l'attendait dans le jardin assombri par le ciel de plomb et Flora termina de ramasser les feuilles des chênes qui trainaient encore sur la pelouse. Une fois de plus, elle se réjouit de tout ce temps qu'elle passait avec lui dans son jardin.

Elle avait toujours apprécié de travailler dehors, de respirer l'odeur de la terre et celle un peu âcre des végétaux et cette activité lui rappelait son père. Quand elle était enfant, il l'emmenait dans les jardins publics et il lui apprenait le nom des plantes, des arbres et leurs caractéristiques.

Dans le jardin, auprès de Marcus, elle avait l'impression que son corps bouillonnait d'un enthousiasme indicible qui, lorsqu'il était à proximité, se transformait en une exaltation un peu anxieuse mais qui la comblait. Elle aimait tout de ces instants passés à ses côtés : ses regards tendres, ses doigts sur sa joue quand il écartait les mèches qui barraient son visage, son souffle dans son cou au moment où il lui prenait le râteau des mains pour la relayer...

Elle aimait l'entendre parler, lui raconter le chêne où il montait, enfant, quand il allait chez son grand-père et les nids qu'il trouvait parfois. Et puis, il y avait ces caresses qu'il lui prodiguait dans sa chambre... Lorsque ces images lui venait à l'esprit, au cours de la semaine, Flora sentait tout son corps se liquéfier et pulser de plaisir. La veille encore, allongée sur son lit, elle avait fermé les yeux et avait eu la sensation que sa peau s'échauffait en songeant aux caresses de Marcus. Pourquoi tenait-il tant à la toucher ?

***

Jusqu'à Noël, Flora vint aider Marcus à jardiner les lundis après-midi. C'était devenu une plaisanterie entre lui et Alex qui était amoureux de Claire de Milian, la sœur d'un de leur ami d'enfance. Leur relation n'avait pas l'air d'être très simple mais Alex lui faisait tout de même remarquer sur le ton de la plaisanterie qu'il ne faisait pas de jardinage avec Claire, lors de leurs rencontres.

— Ne t'inquiète pas, lui disait Marcus, ça viendra.

Il n'avait pas voulu dire à son ami que le jardinage ne prenait qu'une partie de leur temps. À chaque fois, il invitait Flora à prendre une douche ou même un bain et prenait ensuite le temps de la caresser. Parfois, il riait parce qu'elle lui avait dit qu'elle était frigide... Rien n'était plus faux : elle était sensible à chacune de ses caresses et il parvenait parfois à la faire jouir plusieurs fois avant qu'ils ne descendent rejoindre Claudine Laplanche pour le goûter. Pourtant, – là-dessus, Alex avait raison de se moquer – jamais encore il ne lui avait fait l'amour. Lui-même prenait une douche glacée avant de la toucher et avait réussi, jusque-là, à ne pas céder à la tentation qui était pourtant de plus en plus forte.

En effet, au fil des mois, les courbes de Flora s'étaient accentuées. C'était sans doute l'effet des thés copieux de Claudine mais, aussi, Irène le lui avait dit, parce que Flora prenait davantage le temps de se nourrir.

Marcus était retourné voir la vieille femme à plusieurs reprises, le samedi matin, comme elle le lui avait suggéré la première fois, pour la tenir au courant de ses progrès. Elle semblait bien connaître Flora et lâchait parfois, dans la conversation des informations sur sa jeune amie.

— Flora aime beaucoup venir chez toi le lundi... lui dit-elle un jour de mi-décembre. Avant, elle venait pour voir ta cuisinière, mais maintenant, c'est toi. Elle m'a dit...

La vieille femme s'interrompit un instant avant de lui jeter un regard soupçonneux :

— ...elle m'a dit que tu ne lui fais jamais l'amour.

Marcus se rembrunit. Il ne tenait pas à parler de ça avec Irène. Avec personne d'ailleurs. L'intimité qu'il partageait avec Flora était son secret, un secret très précieux qu'il n'avait envie de partager qu'avec elle.