Chapitre 8

139 8 0
                                        

— Bonjour maman. Tu vas bien ce matin ?

Des relents de nourriture avariée et de cendriers pleins flottaient dans l'air lorsque Flora franchit le seuil de l'appartement de sa mère situé près de la place de la Nation.

Celle-ci l'accueillit avec une exclamation de soulagement :

— Ha ! Flora ! Tu tombes bien. J'ai organisé une fête ici, jeudi et l'appartement est répugnant, tu vas voir ! Je t'attendais pour m'aider à remettre tout cela en ordre car Ariston vient cet après-midi et je ne veux pas qu'il voit se bazar !

L'appartement était sans nul doute dans un triste état : toutes les étagères, les petites tables que sa mère affectionnait étaient couvertes de verres vides, de cendriers pleins et les bibelots en tout genre étaient poussiéreux. Le coin cuisine disparaissait sous la vaisselle sale, les assiettes encore pleines de restes de nourriture à moitié immergées dans l'évier.

Posant son sac sur un fauteuil, Flora jeta un regard d'envie sur le fauteuil couvert de velours prune. Elle venait de traverser Paris à pied pour gagner le douzième arrondissement et elle aurait aimé s'asseoir un instant.

— Non, non. Pas le temps de se reposer, ordonna sa mère comme si elle avait deviné le cours de ses pensées. Regarde-moi ça ! Je n'ai pas eu le courage de m'y mettre hier... Toute cette vaisselle, c'est déprimant... Tu excelles au ménage, toi, et j'ai pensé que tu pourrais me donner un coup de main.

Le ton n'était pas ironique et Flora, un instant, eu l'impression qu'elle avait au moins quelque chose qui pouvait satisfaire la femme exigeante qu'était sa mère. Elle ne l'avait jamais contentée : d'aussi loin qu'elle se souvienne, sa mère avait toujours trouvé une bonne raison de désapprouver sa conduite. En dépit du décès prématuré de son père, elle conservait quelques souvenirs heureux de l'époque où il était en vie mais ensuite... sa mère était si exigeante !

Flora se mit au travail en soupirant, aidée par sa mère qui la suivait partout sans toucher à rien. Vers midi, l'appartement était impeccable, la vaisselle lavée et rangée, les bibelots dépoussiérés, les cendriers nettoyés. Flora, épuisée était assise, les yeux clos, une tasse de thé à la main :

— Je ne vais pas pouvoir te garder à manger ma chérie. Ariston vient souvent vers treize heures et je ne veux pas qu'il te trouve ici. Ça me vieilli trop d'avoir une fille de vingt-deux ans... Je n'en ai même pas quarante ! Et je suis tellement bien conservée ! Tu ne trouves pas que mes cheveux sont plus beaux que les tiens malgré la différence d'âge ?

— Mais si maman, bien sûr...

Flora jeta un coup d'œil à sa mère assise en face d'elle. Elle ne manquait pas une occasion de lui dire qu'elle n'avait pas quarante ans et Flora se demandait comment elle réagirait lorsqu'arriverait son anniversaire ! En dépit de ces questions, Flora devait reconnaitre que sa mère était sublime : elle avait des traits très réguliers, une abondante chevelure qu'elle teignait en blond doré depuis toujours et de grands yeux sombres. Son corps était mince mais elle avait des formes très féminines et Flora savait que sa mère prenait grand soin de sa beauté. Elle se coiffait à la perfection, se maquillait avec art et choisissait avec soin chacune de ses tenues. Flora la trouvait sensationnelle et elle l'admirait beaucoup mais certains de ses propos la blessaient.

Ainsi, elle lui en voulait de se plaindre de sa maternité alors que Flora, qui avait tant envie d'avoir un enfant, souffrait de penser qu'elle n'en aurait jamais. D'abord parce qu'elle n'avait plus ses règles depuis plusieurs années et ensuite, mais aussi parce qu'elle était persuadée que jamais elle ne rencontrerait un homme qui pourrait l'aimer. Elle était affreuse et n'aimait pas le sexe. Dans ces conditions, quel homme pourrait bien avoir envie de rester avec elle ?

Tant que son père était vivant, c'est lui qui prenait soin d'elle mais, après son décès, sa mère ne s'était jamais intéressée à elle, préférant parader devant la gamine qu'elle était alors pour se faire admirer. Déjà à cette époque, Flora ne parvenait pas à se passionner longtemps pour les défilés de mode que lui imposait sa mère et celle-ci se vexait.

En grandissant, elle avait appris à admirer sa mère en silence, à applaudir ses tenues à la dernière mode mais, au fond, elle n'avait jamais réussi à se passionner pour tout cela. Lorsque Léa se lassait enfin de lui montrer ses habits, la petite Flora pouvait retourner jouer et feuilleter ses livres. Il y en avait un qu'elle aimait particulièrement et qu'elle avait toujours conservé au fil des déménagements : c'était un ouvrage de jardinage que son père lisait souvent quand elle était petite, son père qui avait souhaité avoir un jardin et qui était mort avant de réaliser son rêve.

Sans savoir pourquoi, elle raconta le sauvetage de Marcus.

— Tu lui a sauvé la vie et tu n'as pas pris son numéro de téléphone ? s'exclama sa mère, très contrariée. Mais tu es stupide !

— Mais je n'en avais pas besoin, maman ! se défendit-elle. Nous n'avons rien de commun lui et moi !

— J'espère au moins que tu as son nom !

— Marcus Chevalier, répondit-elle, heureuse de connaître la réponse à la question de sa mère.

— Marcus Chevalier ?... sursauta sa mère, semblant réfléchir. C'est drôle, ce nom me dit quelque chose...

— Je regarderai ça plus tard... ajouta-t-elle en fronçant les sourcils. Mais vraiment, Flora, il faut que tu sois plus vigilante, sinon tu feras le ménage toute ta vie ! Ne me dis pas que c'est ce que tu souhaites !

Flora baissa la tête : elle savait que sa mère avait de l'ambitionpour elle, qu'elle ne voulait que son bien mais elle n'avait pas la moindreenvie de demander quelque chose à Marcus Chevalier. Il était trop éloigné d'elleavec sa belle maison et sa gouvernante pour qu'elle puisse imaginer quoi que cesoit les concernant !

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant