Léa observa longuement la vitrine de De Beaupuy, le plus célèbre bijoutier de la place Vendôme et frissonna en imaginant le collier de diamants et saphirs autour de son cou. Il s'agissait d'une torsade d'or entremêlée de pierres précieuses : une vraie merveille. Léa aimait beaucoup les bijoux mais elle en possédait très peu puisqu'elle devait les revendre pour pouvoir vivre.
Elle demeura un long moment devant la vitrine avant de jeter un regard discret au trottoir d'en face pour voir si son admirateur était revenu. Il s'agissait d'un homme d'une soixantaine d'années qui était là, comme elle, le jeudi après-midi et qui la contemplait. Il était repoussant avec son gros ventre, ses lunettes en plastique noir et sa calvitie prononcée : tout ce qu'elle détestait chez les hommes ! Mais elle aimait s'imaginer qu'il était amoureux et qu'il l'adorait en silence.
Elle l'avait repéré quelques semaines auparavant et, dès le premier jour, elle aurait dû lui tourner le dos tant il était laid. Mais, au contraire, elle avait fait pivoter son visage pour qu'il voie tout de même à quel point elle était belle et à présent, chaque fois qu'elle venait s'extasier devant les bijoux de De Beaupuy, le jeudi après-midi, il était là. C'était un rendez-vous qu'ils se seraient donné et elle adorait sentir sur elle le poids de son regard. Cette sensation était étrange et douce, comme si ce type, juste en l'observant, la rendait plus vivante.
En faisant mine de ne pas l'avoir vu, elle se concentra sur les bijoux mais, en réalité, le fait que l'homme soit là, comme tous les jeudis et qu'il l'admire, était aussi agréable que de rêver sur les parures de De Beaupuy. Elle savait ce qui allait se passer : comme d'habitude, il allait la regarder très longtemps et il la suivrait du regard quand elle repartirait.
Se désintéressant du vieux bonhomme qui n'était pas assez beau pour elle, Léa détailla la torsade d'or et diamants, se demandant si un vendeur, dans la boutique, pourrait la prendre suffisamment au sérieux pour lui permettre d'essayer le bijou.
— Madame ?
Elle se détourna de la vitrine pour se trouver face à face avec le type qui l'observait et se trouva étrangement déçue qu'il interrompe le petit jeu silencieux qui lui plaisait tant. Pourrait-elle encore rêver qu'il était un amoureux transi s'il lui parlait pour de vrai ? Elle fit de son mieux pour conserver à son visage une expression sereine – sa mine de princesse comme elle la qualifiait elle-même –, et lança, très froide, pour ne pas l'encourager :
— Monsieur ?
Il s'avança d'un pas. Il était proche d'elle à présent et elle put voir ses yeux pour la première fois : ils étaient bleus.
— Je me nomme Albert Méchignac. Je suis photographe et j'aimeraisvous demander l'autorisation de vous prendre en photo, devant la vitrine.

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...