Chapitre 42

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La porte s'ouvrit sur Flora et Marcus nota aussitôt ses yeux cernés de mauves, son visage amaigri aux traits tirés et son ventre rond qui pointait sous son ample chemise rose. Elle sourit, peut-être trop épuisée pour montrer sa surprise.

— Bonjour... Marcus... Bonjour Élie. Je ne pensais pas te voir aujourd'hui, tu es déjà venu dimanche dernier...

Elle ne semblait pas attendre de réponse de son ancien voisin car elle se tourna vers Marcus et déclara d'une voix fatiguée :

— Je suis contente de vous voir tous les deux. Entrez boire quelque chose... Un café Élie ? Et toi Marcus ? J'ai du thé, du café, de la grenadine... C'est agréable le sirop, quand il fait chaud...

Élie réclama de la grenadine, et Marcus ne répondit pas, dévorant Flora des yeux et consterné par sa maigreur et son visage transformé par la fatigue. À New York, alors qu'il espérait la revoir très bientôt, il avait bien pensé qu'elle ne serait plus la même, que son corps serait transformé par la grossesse lorsqu'ils se reverraient et il avait essayé de se représenter une femme enceinte de cinq ou six mois... Mais, à présent, ce n'était pas tant le ventre de Flora qui le surprenait que son visage qui ne reflétant plus que la souffrance et l'épuisement.

Elle n'attendit pas sa réponse et se dirigea vers la cuisine d'un pas pesant tandis qu'Élie et lui la suivaient. Marcus la vit ouvrir les placards puis faire couler de l'eau et elle posa sur la table un verre pour Élie avant de s'asseoir sur le tabouret. Il n'y avait pas d'autres sièges dans la cuisine et Élie, en habitué, se hissa sur la gazinière dont le couvercle était refermé. Marcus demeura debout contemplant Flora qui avait baissé la tête et semblait se concentrer pour respirer. Le silence devenait pesant mais Marcus ignorait si la jeune femme était en colère contre lui ou bien si elle n'avait plus le courage de faire la conversation. De temps à temps, le bruit du verre qu'Élie posait à côté de lui brisait le silence.

Lorsque le jeune homme eut terminé, il se laissa glisser sur le sol et sortit. À peine avait-il quitté la pièce que Marcus vint s'agenouiller à ses pieds.

— Flora...

— Ne m'en veut pas Marcus, je suis très fatiguée, articula-t-elle, la tête toujours baissée. Je dois me reposer le week-end pour pouvoir travailler lundi. La semaine prochaine, je suis du matin... et c'est le plus difficile. Vous ne pouviez pas le savoir mais je dormais quand vous avez frappé.

— Flora...

Elle leva la tête, l'observa un instant et fut soulagé de voir que son regard était toujours aussi profond. Elle demanda d'une voix qu'elle essayait de rendre désinvolte mais Marcus sut tout de suite qu'elle jouait la comédie :

— Tu étais à New York il y a deux semaines ?

— Oui... J'avais des affaires qui réclamaient ma présence là-bas.

— Je le savais. Rachida me l'a dit.

— Rachida ?

— C'est une de mes voisines... Elle habite au cinquième et elle achète la revue Pan-Américan parce qu'elle a une nièce qui habite Portland. Eh bien il y avait une photo de toi avec... Je crois que c'est la même personne que Najette m'avait montrée... Tu sais la très, très jolie blonde... J'étais contente de voir que tu étais heureux tu sais... Elle a l'air très gentil sur les photos... C'était bien l'Amérique ?

— Flora...

— Tu as vu le superbe appartement que j'ai à présent ? le coupa-t-elle d'une voix ferme avec un vague geste de la main. Je sais qu'il manque quelques meubles mais je vais les acheter peu à peu... J'ai trouvé un autre travail et j'ai des collègues très sympas... Elles m'ont proposé de sortir mais je suis encore trop fatiguée... Et tu sais, j'ai une place à la crèche du quartier pour le bébé, quand je travaillerai. Ils acceptent les horaires en deux huit. C'est une vraie chance !

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant