Le lundi suivant, Marcus fut heureux de voir Flora arriver à quinze heures. Elle expliqua qu'elle avait dû faire les courses d'Irène et que Mme Gilbert n'étant pas en forme, elle était restée un moment avec elle pour lui tenir compagnie. Marcus lui répéta qu'il avait besoin d'elle et ils se rendirent au jardin.
Armés de piochons et de bêches, ils désherbèrent et retournèrent les massifs, firent des trous en prévision de la plantation des rosiers, le long des murs et Flora décida de ratisser les allées sablées. Tout en travaillant, elle lui parlait de son père, mort alors qu'elle était très jeune :
— Papa passait tout son temps avec moi quand il n'était pas au travail. Il était merveilleux : on jouait ensemble, il me lisait des histoires et me faisait à manger... Le soir, quand il rentrait, il me disait ce qu'il avait fait : il avait planté des arbustes ou bien taillé des haies... C'est comme ça que j'ai appris ce qu'il fallait faire dans les jardins.
— Et ta mère ?
Flora était intarissable quand elle parlait de son père mais, à l'entendre, elle n'avait pas eu de mère...
— C'est dommage, parce que l'appartement qu'on habitait, quand j'étais petite n'avait même pas un balcon où il aurait pu faire pousser des fleurs. Avant sa mort, je me disais que dès que je serais riche, je lui achèterais un jardin... C'est drôle de se souvenir de ses pensées d'enfant non ? J'avais à peine sept ans quand s'est arrivé et je me souviens de ça...
Marcus interrompit le désherbage et l'observa, à genoux dans l'allée, un piochon à la main, les boucles noires voletaient sur sa nuque à cause de la brise qui soufflait par instant. Il admira l'arrondi des hanches, la minceur de ses épaules et une bouffée de désir le submergea. Il demeura silencieux un moment, cherchant à calmer cette envie brutale qu'il avait de la posséder.
— Et ta mère ? répéta-t-il curieux.
Pendant un moment, Flora ne dit rien puis elle expliqua d'une voix enjouée :
— Maman m'a eu très jeune... Elle est très belle et... je l'aime beaucoup.
Puis Flora se redressa en disant :
— Je suis un peu fatiguée à présent, fit-elle en se redressant. On pourrait faire une pause ?
Il acquiesça et ils se dirigèrent vers la maison. Le jardin avait déjà changé d'allure mais Marcus rappela à Flora qu'il leur faudrait continuer le lundi suivant :
— Je ne m'en sortirais pas tout seul, il y a tant à faire...
— Bien sûr Marcus, je reviendrai t'aider...
Claudine sembla heureuse de voir la jeune fille dévorer les biscuits qu'elle avait préparés et leur proposa même des toasts au jambon et au saucisson que Flora eut l'air d'apprécier. Pour la première fois depuis le lundi précédent, sa gouvernante le gratifia d'un sourire indulgent.
La semaine suivante, Flora arriva plus tôt et ils jardinèrent jusqu'à quinze heures. Marcus s'aperçut qu'il aimait être seul avec elle. Il avait beau se moquer intérieurement de son attirance pour Flora, qui était après tout assez quelconque, il devait faire appel à toute sa maîtrise de lui-même pour ne pas l'enlacer quand elle s'approchait de lui pour désherber ou ratisser. Il avait acheté des bulbes et des rosiers et elle s'extasia en lisant l'étiquette de la plante :
— Rosier « Perfection » ! Il est écrit que les roses changent de couleur au fur et à mesure qu'elles s'épanouissent : elles sont blanches au début et rose-orangé à la fin... Il me tarde de voir ces fleurs ! Crois-tu, Marcus, que le rosier fleurira dès cet été ?
Marcus avait ri. Il se moquait des roses. Ce qu'il voulait c'était voir Flora, toucher Flora, caresser Flora. Il y avait tant de roses, et Flora était unique.

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Les yeux noirs
RomansaFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...