C'est en finissant de remonter l'avenue Charles de Gaulle qui la ramenait à Paris que Flora entendit un bref gémissement qui lui fit tourner la tête. Il faisait toujours aussi froid et plusieurs fois, à la radio que Najette allumait à fond quand elles travaillaient, Flora avait entendu la demande faite à tous les citoyens de ne pas laisser les SDF dormir dehors sans prévenir le SAMU social. Au fond d'un porche, un homme était à moitié couché sur le sol et, dans l'obscurité, Flora pensa d'abord à un mendiant alcoolique et elle s'approcha.
Elle arrivant auprès de lui, elle dut se pencher pour distinguer, à la lueur du réverbère le plus proche, un homme sans manteau et sans chaussures qui ne semblait pas être un SDF : sa chemise était claire et son visage bien rasé. S'agenouillant, elle vit qu'il y avait du sang sur ses vêtements et qu'il semblait davantage assommé qu'endormi.
— Monsieur ?
— ...
— Monsieur ? Vous ne pouvez pas rester là. Essayez de vous relever, je vais vous aider. Flora tira de toutes ses forces sur les bras du blessé pour l'aider à se redresser mais il ne bougea pas d'un pouce. Elle sortit son portable et composa le numéro du SAMU social à plusieurs reprises, mais après de longues minutes d'attente, la communication se coupait. Cet homme était en chemise dans le froid de la nuit. Devait-elle appeler la police ? Au moins, il serait au chaud au commissariat. Mais s'il fallait le mettre au chaud, autant l'emmener chez elle, ce serait plus rapide... Une fois à l'abri, elle verrait bien s'il avait besoin d'un médecin. Elle composa alors un autre numéro :
— Olivier ?
La voix étouffée de quelqu'un tiré du sommeil répondit avec mauvaise humeur :
— Ouais Flora... T'as vu l'heure ?
— Je te dérange, excuse-moi mais j'ai besoin d'aide. J'ai trouvé un mec, il a l'air assommé... S'il reste par terre, il va crever de froid... Tu peux venir m'aider à le transporter ?
— Mais t'es où là ?
— Presque à la station Charles de Gaulle. Tu veux bien venir ? Réveille Élie, il nous aidera ok ?
— Je vais voir si j'arrive à le réveiller... Mais pour toi, il est capable de faire n'importe quoi... Même de sortir par ce froid en pleine nuit ! Bon, on arrive mais t'es vraiment chiante !
Ces derniers mots furent prononcés d'une voix où se mêlaient la colère et la résignation et Flora, rangeant son portable, se mit à taper des pieds pour essayer de les réchauffer. Tandis qu'elle attendait en grelottant sur l'avenue, elle tenta plusieurs fois d'appeler les secours mais en vain. Ils devaient être surchargés à cause des températures glaciales qui sévissaient. Elle essaya de fouiller l'homme mais il n'avait rien sur lui. Ni portefeuille, ni téléphone... Il avait dû être dévalisé mais Flora ignorait qu'on pouvait aussi voler ses chaussures et son manteau à quelqu'un...
Un peu affolée de ne pas le voir revenir à lui, Flora enleva sa propre veste et la lui posa à plat sur le torse. Sur lui, son vêtement paraissait minuscule, il était si grand ! L'homme gémit à nouveau.
— On va vous aider, ils sont en route, fit-elle, un peu au hasard, en espérant qu'il l'entendrait.
Mais l'inconnu était inconscient et ne réagit pas. Un quart d'heure après, comme Olivier et Élie apparaissaient sur l'avenue, Flora courut à leur rencontre.
— C'est pas trop tôt, il est où le type ? demanda Olivier, encore de mauvaise humeur d'avoir été réveillé avant l'aube.
Elle les conduisit au porche et ses deux voisins le hissèrent sur leurs épaules. Les pieds de l'homme trainaient par terre. C'est bien qu'il ait ses chaussettes, pensa Flora en suivant ses amis.

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Les yeux noirs
RomanceFlora, une ouvrière au grand coeur, habite une chambre de bonne dans le seizième arrondissement. Au septième étage sans ascenseur, la jeune femme s'épanouit au milieu de ses voisins parmi lesquels se trouve Irène, une vieille dame obèse et Elie, un...