Chapitre 3

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Léa fronça les sourcils, passa sa brosse dans ses cheveux pour lisser ses mèches dorées et refit son chignon avec application avant de s'observer dans la glace avec attention. Martin l'avait quittée. Elle ne l'avait même pas gardé deux semaines. Pourquoi ? Elle avait tout fait pour qu'il reste avec elle : elle avait toujours accepté de satisfaire ses besoins et ils avaient passés plusieurs soirées très sympathiques dans des bons restaurants ou des clubs à la mode mais Martin était parti. La veille, il était venu avec une belle écharpe en laine et soie grenat et il la lui avait offerte avant de lui expliquer qu'il préférait en rester là.

Elle ne s'était pas énervée : c'est si laid, une femme qui perd ses nerfs ! Mais elle avait eu envie de pleurer, comme à chaque fois. Pourquoi aucun homme ne voulait rester avec elle ? Ils lui disaient qu'elle était magnifique, ils couchaient avec elle quelques semaines et ils partaient. C'était comme ça depuis toujours. Pourtant, elle était belle, tout le monde le lui avait toujours dit. Sa mère, d'abord, quand elle était petite et toutes les familles d'accueil chez qui elle avait passé quelques semaines ou quelques mois, entre deux retours chez sa mère qui réclamait toujours sa garde mais ne parvenait pas à s'occuper d'elle. Elle n'avait pas envie de penser à tout ça : sa mère était morte d'une overdose quand elle avait quinze ans et elle se souvenait qu'elle n'avait pas pleuré, soulagée de pouvoir rester au foyer où on l'avait placée. Au foyer, il y avait des garçons qui lui avaient dit qu'elle était belle et elle se souvenait de cette période avec plaisir...

Ils étaient gentils et ne lui demandaient pas de faire l'amour. Souvent, ils se contentaient de lui toucher les seins et de l'embrasser. Elle fit une petite moue qu'elle aimait bien dans son miroir et s'entraina plusieurs fois à la refaire. Quand elle faisait ce petit mouvement des lèvres, Martin l'embrassait. Elle n'aimait pas trop les baisers, surtout avec la langue, mais les hommes semblaient adorer ça...

Un jour, au foyer, était arrivé un garçon plus audacieux que les autres et ils avaient couché ensemble, un soir, dans un centre de vacances où ils passaient l'été. À partir de là, Léa avait couché avec tous les garçons qui voulaient d'elle. Réprimant une grimace pour ne pas s'enlaidir, elle s'efforça de ne pas trop penser aux quelques semaines qui avaient précédé sa grossesse. Elle couchait avec eux pour qu'ils s'intéressent à elle, pour qu'ils lui disent qu'elle était belle et aussi parce qu'elle aimait la sensation d'être protégée par un petit ami... Bien sûr, ça n'avait pas duré : très vite, les mecs s'étaient donné le mot : elle était une fille facile, une pute, et ils avaient profité d'elle, ils s'étaient moqués d'elle jusqu'à ce que les éducateurs s'en rendent compte et décident de la changer de foyer. Mais elle était déjà enceinte.

Aujourd'hui encore, Léa regrettait de ne pas avoir avorté. Elle était si jeune à l'époque : elle pensait que sa grossesse lui donnerait de l'importance, que les éducateurs et les autres jeunes du foyer comprendraient à quel point elle était extraordinaire et puis elle s'imaginait, très belle, avec son bébé dans les bras...

L'avantage de cette grossesse, c'était qu'elle voulait arrêter ses études et c'avait été une raison idéale. Léa détestait le lycée : les profs ne l'aimaient pas, lui mettaient des mauvaises notes, ne lui disaient jamais qu'elle était belle et elle en avait plus qu'assez. Céline, son éducatrice lui répétait que ce n'était pas possible, qu'elle devait passer son bac mais si elle avait un bébé... qui pourrait l'obliger à retourner en cours ? C'est aussi pour ça qu'elle avait refusé l'avortement.

Assise au bar, face au miroir qui surplombait les empilements de verres, Léa se cambra pour mettre en valeur ses seins. Dans cette robe noire, très décolletée et moulante mais qui s'arrêtait au-dessous du genou, elle était persuadée qu'elle allait attirer un homme. Or, à l'instant même un magnifique blond venait d'entrer dans la salle du Select. Elle connaissait ce club depuis des années et elle était devenue une habituée. La preuve : le patron lui offrait quelques verres même s'il n'avait jamais essayé de la séduire.

Elle tourna la tête pour voir où était le blond et vit qu'il s'était installé à une table, pas très loin du bar. Devait-elle aller l'y rejoindre ? Non. Pas question de pourchasser les hommes, elle était trop belle pour en être réduite à ça !

Elle but une gorgée de champagne et lui lança quelques coups d'œil discrets. Il venait de retirer sa veste et elle voyait ses muscles saillir sous l'étoffe de sa chemise. Détournant les yeux, elle s'efforça d'observer Jean-Pierre, le barman qui servait des clients, de l'autre côté du bar. Jean-Pierre n'était pas mal mais rien à voir avec le beau blond qui venait de commander. Julie, la serveuse repartait vers le bar. Elle était enceinte et ne le cachait même pas : ce soir-là, elle portait une robe moulante qui attirait l'attention sur son ventre arrondi. Quelle horreur !

Léa poussa un soupir de soulagement : un bel homme comme le blond ne s'intéresserait pas à une femme enceinte ! Le ventre rond de la serveuse qui revenait d'un pas pressé avec ce qui devait être un verre de porto lui fit penser à sa grossesse. Elle avait détesté ces longs mois. Au départ, tout allait bien : son corps devenait plus féminin, plus beau et ce n'étaient plus des adolescents qui se retournaient sur son passage mais des hommes, des vrais... Elle se souvenait qu'à cette époque-là, elle mentait sur son âge pour sortir avec les hommes adultes qui l'invitaient dans des endroits vraiment classe. Très vite, pourtant, elle aussi avait grossi et elle s'était sentie laide, difforme, horrible à voir. Elle porta sa coupe de champagne à ses lèvres pour échapper à ces visions de cauchemar mais Julie, qui passait près d'elle avec une chope de bière les fit renaître.

Elle frissonna en songeant à l'impression désagréable qu'elle avait eu, pendant sa grossesse, de ne plus supporter son corps, d'avoir un genre de maladie, comme une tumeur. Elle en avait parlé au médecin mais il avait souri et lui avait fait écouter le cœur du bébé.

— Puis-je vous offrir quelque chose à boire ?

L'homme blond était là, à côté d'elle et elle ne l'avait même pas entendu arriver ! Elle espéra que ses sombres pensées ne l'avaient pas défigurée, lui adressa son plus beau sourire et acquiesça d'un timide mouvement des paupières. Les hommes préféraient les femmes un peu réservées. Adolescente, elle avait essayé de se montrer entreprenante mais ça ne menait jamais bien loin :

— Je reprendrais bien du champagne, merci monsieur... ?

— Ariston Wells

— Je suis Léa, Léa Boisdeaufray.

C'était l'avantage de son mariage avec Etienne : son nom. Elle avait pu changer son nom de famille, Pochard, qui n'était pas terrible. Ariston Wells était aussi blond qu'Etienne, d'ailleurs.

— Tu es Anglais ? demanda-t-elle.

Il hocha la tête, commanda deux coupes de champagne et lui proposa de s'installer à sa table. Léa descendit de son tabouret en s'appuyant sur son bras et le suivit, enchantée.

Ariston était l'homme qui lui fallait. Plus beau que Martin et surtout, blond. Léa préférait sans conteste les hommes blonds. D'ailleurs, Etienne était blond... Elle était contrariée : pourquoi pensait-elle toujours à Etienne ? Etienne l'avait abandonnée d'une certaine manière, elle ne devait plus se soucier de lui. Elle devait s'intéresser à Ariston... Il devait l'aimer.

Elle prit place en face de lui et lui adressa la petite moue qui faisait craquer presque tous les hommes : Ariston ferait-il exception ?

— Tu viens souvent ici ? s'enquit-elle.

Il esquissa un sourire et elle repoussa une mèche derrière son dos. Ce geste, elle l'avait bien étudié dans le miroir, faisait ressortir ses seins et attirait l'attention sur ses beaux cheveux.

— Non. Pas très. Mais ce soir, je suis très heureux d'avoir changé mes habitudes !

Son téléphone sonna. Il consulta l'écran et fit un geste pour s'excuser avant de prendre l'appel. Léa n'était pas fâchée. Ça lui donnait un peu plus de temps pour l'observer, pour chercher à deviner ce qu'elle devait dire pour qu'il tombe amoureux. L'éclat de ses cheveux blond foncé, sous la lumière des spots discrets qui éclairaient les tables lui rappela une nouvelle fois Etienne. Etienne l'avait aimée tout de suite. Enfin... Non. Elle l'avait attiré mais c'est Flora qu'il avait aimée.

Ariston raccrocha et Léa revint à l'instant présent. Il saisit sa coupede champagne, la leva et elle l'imita en lui offrant un large sourire. 

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant