Chapitre 43

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Chaque matin depuis qu'elle était arrivée chez Marcus, Flora s'éveillait tôt et trouvait un plateau de petit déjeuner à côté de son lit. Mme Laplanche – qui insistait à chaque fois pour qu'elle l'appelle Claudine –, montait peu après, l'aidait à se lever, à s'habiller et à descendre puis l'installait sur une chaise longue, sur la terrasse. Les premiers jours, Flora était trop fatiguée pour protester mais, en retrouvant des forces, elle avait de plus en plus d'énergie pour refuser l'aide de la gouvernante :

— Je peux m'habiller seule maintenant, je n'ai plus besoin d'aide... Je vais descendre pour prendre mon petit déjeuner... lui dit-elle une dizaine de jours après son arrivée.

Comme Claudine restait inflexible, Flora descendit elle-même son plateau plusieurs jours de suite, avant même d'avoir mangé quoi que ce soit, et réussit à petit-déjeuner dans la cuisine, avec la gouvernante.

— C'est tout de même plus agréable de manger en compagnie que toute seule dans ma chambre ! Marcus travaille-t-il toujours autant ?

Elle ne l'avait pas vu depuis son arrivée à Paris, savait qu'il était reparti quelques jours à New York et que, depuis son retour, il partait très tôt le matin et revenait très tard.

— C'est très variable...

Claudine semblait un peu gênée ce qui n'échappa pas à Flora mais elle ne posa pas d'autre question : elle devinait que les absences de Marcus devaient avoir un rapport avec sa présence chez lui et en souffrait.

Elle n'avait que peu de souvenir de son retour à Paris. Elle se rappelait bien l'arrivée de Marcus avec Élie, revoyait clairement son ancien voisin assis sur la cuisinière à gaz en train de boire son sirop... Mais c'était à peu près tout. Elle avait marché, elle avait pris l'ascenseur – pour une fois qu'il fonctionnait celui-là ! – mais il ne restait pas grand-chose d'autre dans sa mémoire.

Bien sûr, Marcus s'était senti obligé de l'inviter chez lui expliquant au médecin qu'il craignait pour sa santé mais ce dernier s'était montré rassurant. Flora savait qu'ils allaient bien le bébé et elle : il bougeait de plus en plus souvent et la sage-femme, à Meaux, lui avait dit qu'un bébé qui bougeait était bien vivace. Je suis en bonne santé, je vais bientôt pouvoir retourner chez moi, songeait-elle.

En réalité, elle craignait plus que tout de retourner à Meaux, de reprendre son travail mais elle savait aussi qu'elle ne pouvait pas rester chez Marcus pour toujours. Bien sûr, la maison était très belle, elle avait un jardin et quelqu'un pour s'occuper d'elle, mais elle était une adulte et ne pouvait habiter chez Marcus, surtout quand le bébé serait né !

Marcus méritait quelqu'un de mieux qu'elle et puis il avait besoin de pouvoir voyager pour ses affaires... Marcus l'avait crue lorsqu'elle lui avait dit que le bébé n'était pas de lui et si elle s'en voulait de lui avoir menti, elle continuait à penser que c'était pour son bien... S'il se sentait dans l'obligation de s'occuper d'un enfant, il ne pourrait pas trouver le bonheur et Flora voulait par-dessus tout que Marcus ait une belle vie.

Au cours de ses journées passées à lézarder sur la terrasse sous la surveillance attentive de Claudine, elle avait pris conscience que le bonheur de Marcus passait avant celui du bébé. Elle culpabilisait car son bébé était la meilleure chose qui lui soit arrivée mais même si elle savait qu'elle était folle, pour le bonheur de Marcus, elle était prête à priver son propre enfant de son père ! Cette décision était difficile à tenir car depuis qu'elle l'avait revu, elle avait envie d'être auprès de lui, de lui parler, de le toucher... mais ce n'était pas possible. Elle souffrait en pensant qu'une fois de plus, Marcus avait eu pitié de sa situation même s'il était bien trop accaparé par son travail pour avoir le temps – et l'envie – de s'occuper d'elle !

Au fur et à mesure qu'elle reprenait des forces, Flora se sentait seule. Elle aurait aimé parler avec Irène mais bien sûr elle devait y renoncer car ni l'une ni l'autre ne pouvaient franchir les sept étages qui les séparaient. Sa vieille amie, par cette chaleur, ne descendait qu'exceptionnellement l'escalier de l'immeuble et Flora savait qu'elle n'aurait pas pu grimper les sept étages tant elle était épuisée.

Une après-midi de fin juillet, cela faisait un peu plus de trois semaines qu'elle était chez Marcus, Flora s'allongea sur une chaise-longue installée sur la terrasse et ferma les yeux, regrettant le temps où elle sombrait dans le sommeil.

— Combien de temps puis-je rester ici d'après vous ? demanda-t-elle à Claudine lorsque celle-ci lui apporta un jus d'orange.

— Combien de temps ? s'étonna la gouvernante en lui lançant un regard interrogateur. Pourquoi ? Vous comptez partir ?

— Je sais bien que je ne peux pas m'installer ici expliqua Flora, mais je me demandais si je pourrais rester jusqu'à la naissance du bébé... Croyez-vous que ce soit possible ?

— Mais oui. Bien sûr, assura Claudine. Il faut que vous restiez jusqu'à la naissance, vous avez besoin de repos. Vous ne pouvez pas déménager encore !

— Vous êtes sûre que ça ne dérangera pas Marcus ?

— Pas du tout. La maison est grande...

Un peu rassérénée Flora but son jus d'orange et ferma les yeux.

***

Lorsque Marcus rentra, ce soir-là, il était presque vingt-deux heures. Flora dormait, comme à l'accoutumée, mais il eut la surprise de trouver Claudine assoupie dans un fauteuil. En entendant la porte se refermer derrière lui, la gouvernante s'éveilla et se redressa d'un bond :

— Marcus... Il fallait que je te voie ce soir... C'est Flora... bredouilla-t-elle, encore un peu endormie.

— Oui ?

Marcus était mécontent. S'il y avait un sujet qu'il n'avait pas envie d'évoquer avec Claudine, avec personne d'ailleurs, c'était Flora.

— Eh bien... Cet après-midi, Flora... m'a demandé si elle pouvait rester ici jusqu'à la naissance de son bébé...

Son sang ne fit qu'un tour : Flora envisageait-elle déjà de le quitter ?

— Et ? lança-t-il pour ne pas laisser deviner à Claudine à quel point cette idée le blessait.

— Et je lui ai répondu que oui, bien sûr... Mais je voulais te le dire parce que... enfin... il me semble qu'elle n'est pas... qu'elle ne sait pas... elle ne sait pas ce que tu... Je ne veux pas être indiscrète...

Claudine bredouillait, ne cherchant pas à dissimuler son malaise.

— Je crois que j'ai compris ce que tu veux dire, soupira Marcus. Je parlerai à Flora...

Sur ce, la vieille gouvernante lui souhaita bonne nuit et disparut dans l'escalier qui menait à sa chambre.

Une fois seul, Marcus s'avoua que si, depuis l'arrivée de Flora, il s'arrangeait pour partir avant son réveil et ne rentrait que lorsqu'elle était endormie c'était parce qu'il la fuyait. Il avait honte de lui et craignait de ne pas supporter ses reproches car, même si Flora était très indulgente avec les autres, c'était la santé de son enfant qu'elle avait risqué par sa faute à lui ! Elle avait été au bord de l'épuisement et quelles auraient pu être les conséquences pour le bébé ? Il était évident qu'elle allait avoir du mal à lui pardonner son abandon et il ne se sentait pas le courage d'affronter ses reproches, il s'en faisait tant à lui-même ! Son ardent désir de lui demander pardon se mêlait à la crainte, non moins brûlante, qu'elle le rejette et lui annonce son départ... et voilà qu'elle en avait déjà parlé à Claudine.

Il eut du mal à s'endormir ce soir-là, et fut incapable de travailler lajournée du lendemain. Comme il n'arrivait pas à être efficace, il se résigna àrentrer chez lui pour affronter la jeune femme. 

Les yeux noirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant