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Ma mine remplissait, détaillait, ou même contournait des figures depuis plus d'une demi heure. Deux ovales aux bords pointus que je coloriais entièrement en rouge, laissant quelques reflets apparaître au niveau de ce que seraient les iris. Puis un nez fin, un visage inexpressif, deux petites oreilles, et sur le haut de son crâne chauve, deux cornes suivies de plusieurs petites l'une derrière l'autre. La peau était noire, marquée par un crayon 5B où je rajoutais des ombres par du feutre.

Le noir était tellement sombre que j'avais l'impression d'être attiré par mon propre dessin.

Comme ce jour là, à ma compétition de natation. C'était ces orbes carminés que je voyais depuis quatre ans à chaque fois que je fermais les yeux.

Comme si cette image avait été encrée, tatouée, sous mes paupières depuis ma compétition, et qui s'était réveillée quatre ans plus tôt. Me hantant. Depuis cette nuit-là, je n'avais jamais eu de nuit noire, de sommeil profond et reposant. Car ces yeux rouges et dévastateurs étaient toujours là, à me fixer et me disaient continuellement:

Tu as été chassé du paradis.

Monsieur Jeon ?

Je relevai soudainement le visage de mon cahier, et plantai mon regard perdu dans celui de mon professeur d'Histoire du Cinéma. Mes yeux jonglèrent entre mes camarades, tous tournés vers moi sûrement à cause de mon inactivité. Jimin me fixait curieusement, quelques rangées de tables plus bas.

Je toussotai.

— Excusez-moi je n'étais pas concentré...

Il me regardait du haut de son estrade, sa souris d'ordinateur dans une main. Un soupir franchit la barrière de ses lèvres de cinquantenaire.

— Ce n'est pas la première fois que je vous vois la tête ailleurs dans mon cours, vous viendrez me voir à la fin de l'heure.

Je me contentai de hausser la tête, l'esprit embrumé par je ne savais quoi. La joue appuyée contre une main qui me servait d'abat-jour, je regardai de nouveau mon dessin et me rendis compte qu'il s'était planté en plein milieu de mes cours.

Jimin se retourna face au professeur, qui après avoir remonté ses lunettes sur son nez, répéta la question qui m'était destinée:

— Savez-vous ce que les films de Park Kwangsoo et Jang Sunwoo ont comme particularité ?

Intérieurement, je soufflai d'ennui. L'étude de ces réalisateurs remontait aux années précédentes, et on ne les avait pas revus depuis le début de cette année-là. Cette question devait sûrement utiliser pour justement amener le sujet. Alors je fouillai quelques secondes dans ma mémoire, triant tout ce que j'avais appris et mettant les bons éléments pour chaque personnalité. Même mon esprit était mal organisé.

— Ils utilisent beaucoup de références à l'actualité politique du pays, répondis-je calmement, où la plupart des séquences ne peuvent qu'interpeller le spectateur coréen et attiré son attention à un double niveau. D'une part au déroulement du scénario et aux événements auxquels le film se référent.

— Mais encore ?

— Cette double lecture provoque à la fois un effet de distanciation par rapport à l'illusion cinématographique et confère au film son potentiel subversif.

Jimin me regardait en souriant, sûrement fier du fait que j'avais pu répondre sans avoir suivi le cours ou quoi que ce soit. Je lui rendis son geste.

❝𝐓𝐎:𝐊𝐘:𝐎𝐎❞ ᵗᵏOù les histoires vivent. Découvrez maintenant