Asservir quelqu'un, un jeu d'enfant ? Tel est le titre du livre -écrit par un certain Ἔρεϐος- que je suis actuellement en train de lire. Pourtant quelque chose me déconcentre. Je le pose alors sur la table à côté de moi et sonne. Un serviteur apparaît, se prosterne. Je lui fais peur, je le lis dans son âme. Je lui ordonne de m'apporter mon fouet. Il se relève, sort à reculons. Lorsqu'il revient, il reçoit le commandement de retirer la toile de jute qui lui sert de chemise. Et là. C'est l'explosion. Une vraie colère m'envahit et réchauffe tout mon corps. Les coups tombent. Les uns après les autres. L'employé ne bouge pas. Son visage ne trahit aucune émotion. C'est à peine si l'on aperçoit le léger tremblement de ses mains. Lorsqu'enfin je suis calmée, je le renvoie en lui demandant de me ramener mon premier magicien. Une fois seule, je me passe les mains sur le visage et avance vers le grand miroir en pied situé derrière moi dans l'optique de remettre un peu d'ordre dans mon apparence. Je contemple ce visage familier, pâle et ovale, ce nez aquilin, cette bouche fine, ces longs cheveux noir de geai, ces yeux perçants verts émeraude. C'est une figure devant laquelle je me retrouve chaque jour, et pourtant aujourd'hui, elle me trouble.
- Votre Majesté Impériale ? Vous désiriez me voir ?
Quand je me réveille, la seule chose que je perçois, c'est cette douleur lancinante dans mon dos, dans mon bassin et dans mes cuisses. On dirait des courbatures... Soudain, je me rappelle. Les liens, le mode de transport, le sommeil forcé. Fabien. Ce traître ! Comment ai je pu lui faire confiance !? Dans les livres, c'est toujours comme ça, j'aurais dû m'y attendre... Je me redresse, telle une mamie avec des rhumatismes et attends quelques secondes que mes sens daignent se remettre en marche. En premier, vient la vue, grâce à laquelle je constate que je suis plongée dans le noir. Une nuit totale. Avec mon ouïe, je ne perçois rien d'autre que le bruit causé par mes mouvements. En me servant de mon nez je ne sens rien du tout, mais ce n'est pas étonnant au vu de mes médiocres aptitudes à détecter autre chose qu'une odeur évidente. Je tâte mon environnement, mais mon imagination étant mon imagination, là où il ne doit y avoir qu'un fin matelas posé à même le sol, mon esprit me montre une paillasse infectée de poux et un parterre parsemé de clous à moins d'un mètre de ma couche. Alors que je m'interroge sur ce que je ressens en terme de goût, je me rends compte que je ne suis pas dans le noir, j'ai juste les yeux fermés. Je soupire. Quelle nigaude je suis. Je les ouvre aussitôt, et contrairement à ce à quoi je m'attendais, je n'ai pas de difficultés avec la lumière qui n'est pas très forte. Je regarde autour de moi, et déduis que je suis dans une cellule tout ce qu'il y a de plus normal : des murs gris, uniformes, un sol banal, sans pièges, sans piques, un plafond très peu lumineux, et un matelas épais de seulement quelques centimètres sur lequel je suis assise. Seule chose bizarre : il n'y a ni porte, ni barreaux. Autrement dit, aucun moyen d'en sortir sans l'aide de la magie. On se croirait dans un Escape Game. Découragée, je me rassieds et réfléchis. Mais je me relève aussitôt. Pourquoi ne pas utiliser la magie justement ?! Ne sachant pas si je suis toujours dans la forêt ou non, je ne peux dire si la téléportation marche. Mais qui ne tente rien n'a rien ! Sauf que je déchante vite. Évidemment, j'échoue ! Je soupire même si je sais que c'était à prévoir... Faute de mieux, je cherche sur les murs une quelconque porte. Je fais cinq fois le tour de cette cellule exiguë, mais ma main ne rencontre aucun renfoncement dans le mur, aucun détail digne de mon attention. Découragée, je me rassieds et, alors que je fourre mon crâne dans mes bras, une voix glaciale attire mon attention :
Bienvenue soeurette.
Surprise, je lève la tête, et qu'elle n'est pas ma surprise en apercevant la femme des rêves qui hantent mes nuits depuis plusieurs années ! Des rouages se mettent en place dans mon cerveau et je réalise qui j'ai en face de moi.
Saphir.
À cette occasion, je me rends compte que le mur devant moi s'est totalement effacé ! Je m'avance prudemment et hasarde doucement ma main, qui rencontre malheureusement un obstacle. Elle s'est donc contentée de le rendre transparent. Dommage. Mais forgée comme je le suis, je ne laisse rien paraître de ma déconfiture et demande :
Pourquoi ?Parce que.
Face à cette réponse tout ce qu'il y a de plus infantile, je me retiens de me frapper le front d'agacement.
Développe.Cède-moi ton trône.
Ah d'accord. Comme ça. Genre direct. Bon... Elle est pressée la demoiselle ! En vrai, si on négocie comme ça, je risque de pas pouvoir garder mon sérieux longtemps... Mais dans les situations désespérées comme celle-ci, ça fait toujours du bien de rire.
Pas envie. Ça t'arrives de prendre en compte les désirs des autres ? Ou tu ne penses qu'à toi ?Je prends ça comme un non, alors ?Yep !Oui ou non ? Faut savoir à la fin, soeurette !
Je me permets un petit sourire crâneur, lui montrant que je n'ai ab-so-lu-ment pas peur d'elle. Que je me moque d'elle, de sa confusion.
Oui c'est non.Bon. Je vois...
Avec un souris pervers, elle ajoute :
Au fait, félicitations pour ton pouvoir ! Tu peux contrôler les animaux, c'est ça ? Quel primaire... Lamentable.
Et elle tourne les talons.
Je ne réponds rien, réfléchissant déjà à ce qu'elle pourrait avoir planifié et à comment sortir d'ici.
Machinalement, j'essaie de joindre ma soeur, mais comme il fallait s'y attendre, je n'y arrive pas... Remarque. Je comprends qu'elle soit au courant pour mon primaire, mais pour notre télépathie...? Y'a que notre famille, Nano et monsieur Willyh qui sont au courant. Il ne peut pas y avoir de fuite on a veillé à ce que personne ne puisse nous entendre... À mon avis, Saphir n'est pour rien dans cette incapacité à communiquer. Mais il y a peut-être quelque chose... Un filet. Elle a fait mettre un filet au-dessus de ma cellule. Évidemment. C'était obligé. Elle est trop intelligente pour oublier quelque chose d'une telle importance. Les filets ainsi que certaines menottes faits partir de scandium empêchent quiconque en possède de se servir de ses pouvoirs. Il suffit de mettre le lacet autour de la personne ou les liens autour de ses poignets et le tour est joué. Je sais pas exactement comment ça marche, mais je viens de m'apercevoir d'un effet secondaire assez désagréable; j'ai l'impression d'avoir été privée d'une partie de moi-même... À court d'idées, je me rassieds sur le matelas et commence à penser.
Mais j'ai à peine le temps de former une phrase, qu'une trappe s'ouvre dans le plafond, et qu'une pince tenant ce qui me semble être un plateau, descend dans ma cellule avec force grincements. Elle dépose son fardeau et s'en va aussi vite qu'elle est venue. Étonnée, je m'approche et observe la nourriture que Saphir daigne m'envoyer. Je suis pas sûre qu'on puisse appeler cette étrange bouillie violette «nourriture», mais je sais que Saphir n'a aucun interêt à me tuer si elle veut récupérer au moins un trône. C'est déjà ça. Sauf que rien ne la retient de me droguer pour m'empêcher de réfléchir... Au pire, la première fois c'est pas grave, je serai avertie pour les prochaines... Autant tenter l'expérience. Bref, je regarde s'il y a un couvert, mais bien évidemment, il n'y en a pas. Elle tient vraiment à m'humilier ! Elle va être déçue, la tortionnaire, j'ai déjà fait pire que manger avec les doigts ! Eeeeh oui, Rubis De Millania est capable de faire des trucs pas très distingués ! Quelques minutes après, l'assiette est vide de son infâme brouet et rien ne change dans mon corps et mon esprit. Je hausse les épaules. Je commence à croire qu'elle n'est pas aussi rusée et intelligente que ce qu'on m'a dit... Elle me paraît même avoir une trop haute estime d'elle-même. Soudain, je chancelle; le ventre rempli, j'ai l'impression d'être un tonneau. Cette pâte a au moins le mérite d'être nourrissante. Épuisée, je m'allonge sur le matelas, et j'ai à peine le temps de me demander quelle heure il est que, malgré l'endroit où je me trouve et le fait que mon dos touche le sol à travers ma paillasse, je m'endors.
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Cristal et Rubis
FantasyDeux jumelles. Un inconnu. Bien évidemment, lorsque ce dernier leur annonce qu'elles sont impératrices dans un monde parallèle, Millania, sur la planète Géfain, elles le suivent. Une année heureuse s'ensuit. Bien évidemment, cela ne pouvait durer. U...