Dernière ligne droite : Rubis

12 5 0
                                    

J'ai vraiment été naïve. Je ne sais même pas comment j'ai fais pour penser une seule seconde que la chiffonnade allait me laisser m'assoir et la sonder docilement, sans m'attaquer... Lorsque je m'approche d'elle, ce n'est pas une gentille étreinte qui m'attend, c'est un énorme rugissement accompagné d'une immense patte pourvue de sept griffes. Esquivant habilement à la dernière seconde, un réflexe me fait balancer mon bras et transpercer le membre. Je n'aurais pu réagir plus bêtement ! Non mais sérieux ! Faut vraiment que je gâche tout ! Bon, rattrapons-nous.

Je ne connais pas les chiffonnades, mais je sais que tout animal qui se sent en danger attaque. En réaction à cette pensée, avec des gestes lents, je pose mon arme au sol. À présent, je me contente d'éviter les attaques de l'autre. Laissant une partie de mon esprit dans le mode «réel», je tente de rentrer dans la conscience de la créature. Malheureusement, je n'y parviens pas, ayant besoin de toute mon attention. Décidant de tenter le tout pour le tout, je m'assieds sur le sol, signifiant ainsi que je ne veux aucun mal à mon interlocuteur. Je réussi à le déstabiliser assez longtemps pour pouvoir lui parler mentalement.

«Je ne te veux aucun mal.»

Et alors qu'elle allait lancer une autre patte, elle se stoppe, intrigué par ces paroles.

«Je veux seulement t'imaginer, si ce n'est te comprendre.»

Je la rassure, jusqu'à obtenir son autorisation pour fouiller son esprit, pour savoir qui elle est. Les deux premières choses que j'apprends sont qu'elle est une femelle et que son nom est Bayaya. Elle ne réagit aussi violemment que parce que Saphir (encore et toujours) l'a enfermée. Son espèce n'aime pas être en prison, ça la fait paniquer. Ces quatre informations me suffisent pour l'instant. Je la rassure, me présente à elle, lui assure que je ne veux que la délivrer. Je pense que c'est cette dernière citation d'André Malraux qui l'a vraiment convaincue (je me remercie moi-même de m'être passionnée pour les citations à un moment de ma vie) :

«La liberté appartient à ceux qui l'ont conquise.»

En me levant, je manque retomber par terre tellement les expressions ahuries des saphiriens alors qu'ils s'aperçoivent que leur meilleur atout a changé de camp sont comiques. Mais alors qu'ils se remettent, l'un d'entre eux -souhaitant sûrement mourir- se précipite vers Brave, épée en avant. Avant que quiconque n'ait pu réagir, la lame est enfoncée dans le poitrail du loup, tachant sa belle robe grise. En un an, je me suis tellement entraînée que, alors même que mon esprit est sous le choc, mon corps continue le combat. Mais ma soeur, avant même de rejoindre son gardien, enfonce à cinq reprises un poignard dans le corps du fautif. Achevant mon adversaire, je rejoins tant bien que mal mes amis de l'autre côté de la pièce. L'animal blessé a perdu conscience, mais Belle est déjà là.

C'est alors que l'improbable se produit. Les silhouettes de nos deux compagnons se brouillent puis, tandis qu'elles redeviennent nettes, nous pouvons nous apercevoir qu'ils ont totalement changé de forme ! Alors que Belle est devenue un magnifique phoenix au plumage de feu, Brave incarne un superbe oiseau de nuit dont les yeux peuvent tuer quiconque l'importune. Malheureusement, cette transformation ne l'a pas guéri et il sanglote toujours de douleur. Alors que Cristal reprend ses esprits et réalise ce qu'il vient de se passer, j'observe ma gardienne, et peux remarquer qu'elle est sur le point de pleurer, comme si elle venait de perdre un ami très cher à son coeur. Prenant ma soeur par les épaules, j'entreprends de la réconforter du mieux que je peux. Non pas par les mots -nous n'en avons pas besoin- mais par ma présence. Soudain, alors que je détourne ma jumelle du terrible spectacle qui s'offre à présent à mes yeux, je vois une toute petite partie de la blessure se résorber. Interloquée, je signale ce qui vient de se passer à ma jumelle qui se retourne, pleine d'espoir.

- Je suis un phoenix, annonce Belle.- Et ?

Mais avant qu'elle n'ait pu répondre, mon cerveau s'éclaire d'une lumière.

- Et les larmes de phoenix peuvent guérir n'importe quelle blessure ! T'es super, Belle ! - Merci, je sais. Maintenant si vous vouliez bien vous occuper de ces soldats, ça serait cool. Le processus est plus lent la première fois. En plus c'est une plaie grave, ça va donc prendre du temps...

Arrachant difficilement ma soeur à ses espoirs, je la tourne vers la réalité. Avec une énergie décuplée par la rage, ma jumelle tue les trois quarts des ennemis restant, nous débarrassant d'eux en quelques vingt minutes à peine.

Alors seulement, elle s'autorise à se précipiter au chevet de son ami.

Elle n'a pas fait trois pas, qu'une lumière blanche envahit la pièce. Après quelques secondes d'éblouissement, nous remarquons qu'une simple fenêtre est la cause de tant de luminosité. Nous nous entreregardons, surprises, mais un gémissement nous ramène à la réalité.

Eva ! Dans le feu de l'action, je l'avais oubliée... Regardant autour de moi, je la localise dans un coin, en position foetale. Je cours aussitôt vers elle, regardant si elle n'a pas été blessée. La seule marque que je remarque, c'est un collier bleuâtre dans son cou. Signe d'étranglement. Soulagée, je l'enlace, mais nous sommes interrompues dans nos retrouvailles par Belle qui, pragmatique, ne perd pas notre objectif de vue :

- Rubis, Cristal, passez la fenêtre. Je reste ici à soigner Brave et Eva. Ne vous inquiétez pas, nous serons là, vous soutenant, mais mentalement. Bref, allez-y.

Et sur ces paroles, elle se détourne de nous. Sachant qu'elle ne va répondre à aucune des questions que nous pourrions avoir, je fais signe à ma soeur de lui obéir. Ce n'est qu'à contrecoeur qu'elle s'exécute, mais je vois bien que cela lui arrache le coeur. Je la comprends. Après seulement quelques heures avec son gardien, on a l'impression de l'avoir toujours connu...

Bref. Trêve de palabres. J'entraîne ma jumelle vers la minuscule entrée de notre destinée.

Cristal et RubisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant