Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// Terminé

Chapitre 13 - Lunac et Croustilloches

Un repas un peu particulier les attendait ce midi-là : quatre sièges en plus s'ajoutaient à la table centrale, juste sous le grand lustre principal et on avait sorti plus beaux couverts pour l'occasion. Une fois tous les écuyers installés, le silence prit place à son tour. Les professeurs entrèrent alors, suivis de Tlaratissesh et du sévère Moxotlyss aux écailles noires.

En passant à côté d'eux, la jeune Wyverne s'arrêta pour saluer ses nouveaux amis.

– Rebonjour, les copains ! On nous a dit qu'il y avait un fesstin pour nous, ssc'est vraiment ssympathique comme attenstion. Schlp schlp. Sce sserait ssuper ssi...

– Avance, Tlaratissesh, gronda Moxotlyss.

Une fois assise elle leur adressa un petit signe de la main, interrompu par le sifflement de son aîné. Mal à l'aise, elle attrapa une fourchette puis une coupe qu'elle examina de près en faisant jouer la lumière, puis s'émerveilla de la richesse de toute l'argenterie. Mais encore une fois elle fut arrêtée par un regard sévère et se remit à gigoter d'inconfort en balançant sa queue sous son siège.

Pour une fois tous les professeurs étaient attablés en même temps, mis à part Dame Tabarh et l'albinos sûrement trop occupé à discuter de choses passionnantes d'administration. D'habitude il en manquait toujours quelques-uns. Maître Patelin se serrait, tout tassé à côté de Chevalière Douceliah qui prenait beaucoup de place dans son armure qu'elle refusait de quitter. Le professeur ronchonnait tout seul, alors que sa voisine parlait très fort vers les invités. Chevalière Danoin (de Crins de Rose), une femme ronde à l'épaisse chevelure turquoise qui enseignait l'Équitation, discutait joyeusement avec une autre, Maîtresse Esobel (Chevalière d'Acier de Boulon) à la silhouette sèche aux épaules tatouées, musclées par des efforts répétés. Elle était assise avec nonchalance, un genou replié sur sa chaise sans se soucier de la mine désapprobatrice de Maître Patelin. Maître Répin (Chevalier de ça-vous-regarde-pas) écoutait d'une oreille distraite la conversation entre Jakut et Gosvetaro, tout en surveillant l'assemblée des écuyers devant lui d'une mine boudeuse.

Plus loin, Chevalier Acelain ajustait les paramètres de son fauteuil, avec l'aide d'un grand centaure taciturne aux corps de bison dont le bras métallique cliquetait en rythme à chacun des tours de clef. C'était Tivam, le concierge de l'école. Sa silhouette au dos arqué hantait les couloirs et les jardins à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, toujours occupée à réparer quelque chose ou à en colmater une autre. Il ne parlait pas ou très peu, hochant seulement la tête avant de partir accomplir sa tâche. Son fils qu'on voyait souvent à ses côtés était à peine plus loquace que lui. Le siège du Chevalier ronronna et de petits nuages en forme d'octogones verts s'élevèrent d'un tuyau, puis le concierge s'en alla sans un mot.

Et enfin, dans un concert de gargouillis d'estomacs, les domestiques apportèrent le repas sur de larges plateaux d'argent. Ils se mettaient à deux pour porter à chaque table des marcassins rôtis, des taupatons en cocottes et de grands saumons rouges farcis à l'écrasé de radamisa. Ces viandes juteuses étaient accompagnées de légumes en sauces, de purées, de terrines d'asperges à l'astrasine des prés, de croustillants aux champignons saupoudrés de grains de sidhinettes, de madeleines salées aux potirons et d'un savoureux velouté de courgettes aux herbes de phalante. Il y avait des briques de chèvre et de brebis frais et secs, de grosses meules de tomes des montagnes aux six poivres et du fromage blanc crémeux. Et pour le dessert : poires et cerises aigrettes en sirops, de tartelettes de fraises à la menthe bleue, petits biscuits aux karulia et flans parfumés à la vanille. Quelques plats wyverns traditionnels accompagnèrent le festin en une marque de sympathie envers les invités : il s'agissait d'un léger bouillon où flottaient de fines tranches de viande fumée puis bouillie trois fois avec des morceaux de racines ; des fragments de pierres à épices nageaient dans le fond du récipient pour parfumer le liquide trouble ; de petits légumes séchés et fourrés d'une crème fromagère un peu piquante et des pains roulés dans la cendre de sunma gris.