Chapitre 45 - Risette et Festin

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Elles furent d'abord submergées par la musique avant d'être happées par la vague des invités.

L'immense salle, si haute de plafond que les grands lustres aux multitudes des bougies parfumées semblaient descendre du ciel, accueillait une foule de plusieurs centaines de personnes tous soigneusement sélectionnées, parées de leurs plus beaux atours.

À l'une des extrémités de la pièce, le majestueux trône recouvert d'or était encore vide. Le paon sculpté dans le dossier donnait l'impression de surveiller le spectacle.

À l'autre bout, le Premier Grand Orchestre Impérial accompagnait les danseurs dans des menuets valsés, contredanses coupé-décalées et longs fandangos cendoliens. Les valseurs tournoyaient en un ballet de couleurs et de gestes gracieux, faisant des lignes, rompant des cercles, se fendant de révérences et virevoltant en duo et petits groupes, et parfois mimant la gestuelle d'automates, car c'était la dernière danse à la mode. Au-delà de cet océan de tissus froufroutant et tourbillonnant, les autres convives profitaient de la fête en discutant dans les salles attenantes. Par ici on papotait des rumeurs de Gopona et l'ouverture d'une nouvelle mine de cristaux, par là on négociait des accords sur le prix du lunac, dans un joyeux brouhaha assourdi par une rocka-mazurka.

Obscura et Alilia se promenèrent au milieu de cette multitude chatoyante, suivant Idrid et Thukty, paradoxalement bien plus à l'aise dans ce décor inhospitalier qu'à l'école. La tenue de la jeune centauresse ne semblait presque plus excentrique en comparaison de toutes celles des envoyés étrangers. Il y avait des dignitaires de Gopona vêtus de leurs tuniques amples aux tissus chamarrés et aux majestueux chignons parés de bijoux de bois. Les aristocrates sidhes, gracieux avec leur col montant, leurs gilets brodés et leurs manières mondaines, échangeaient entre eux des nouvelles de la cour de Neredhel et de la princesse toujours introuvable, ce qui était fâcheux pour le mariage : devait-on l'annuler ou le maintenir malgré l'absence de la mariée ? Ils portaient des soieries de leur pays, brillantes et légères, dont les coupes mettaient en valeur leurs silhouettes longilignes. Les nobles d'Abarel étaient reconnaissables à leurs visages carrés, à la blondeur de leur chevelure bouclée, et des pelisses et capes longues qui faisaient la renommée de leur région. Ils plaisantaient avec de riches notables des Grands d'Ors parés de manteaux aux manches à crevés et velours miroitants, dont les faces débonnaires rougissaient du vin qu'ils goûtaient pour trinquer à chaque rencontre. Les envoyés des Terres d'Ambres attiraient l'attention par leurs manières vives, leurs voix fortes teintées de bonne humeur, et leurs chemises de dentelles blanches égayées de perles brodées. Des représentants des Terres du Vert-de-Gris, le visage impassible et sérieux, drapés de toges de laines aux larges appliques de passementerie, tentaient de discuter de taxes et de pourcentages d'impositions aux quelques bourgeois de Briandonne présents. Ceux-ci semblaient perdus et regardaient le festin et les richesses étalées avec une curiosité mêlée d'incompréhension.

Vêtues d'élégantes robes de feuillages et de voiles d'araignées, quelques Matriarches Dryades étaient venues, ainsi que des seigneurs centaures de Mashaona. Ils portaient fièrement brandebourgs et couleurs de leur île sur leur corps de jaguar, d'ours, de renne ou de morse.

Rassemblée dans le seul coin sombre disponible de la salle, une petite délégation de Wyverns observait en silence. Suite à la disparition de leurs envoyés, à l'automne dernier, le climat était de nouveau tendu entre les deux nations. Ces émissaires sentaient le poids de tout leur peuple reposer sur leurs épaules.

C'était une heureuse pagaille de convives, notables, hauts bourgeois et marchands richissimes, aristocrates venant de partout, ministres et chambellans de tous les pays, domestiques courants, serveurs servant et sommeliers sommeillant, journalistes grattant d'une plume fébrile leur calepin pour l'édition du lendemain, perruques poudrées et cheveux tirés, moustaches cirées, barbes peignées et tressées, chapeaux et diadèmes étincelants, aigrettes et cascades de perles, rivières de diamants et kokochniks multicolores, qui vous hypnotisait et vous frappait de stupeur.

Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant