Chapitre 46 - Rêves et Longue-vue

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La grande Cour d'Ivoire apparaissait floue. Floue aussi, une patrouille de soldats qui passaient. La vue essaya de s'ajuster, se fit un peu plus précise, mais le résultat se révéla encore loin de la perfection.

– Ah ! mais c'est infernal ! C'est jamais fichu de marcher correctement ce bidule ! s'écria Melrius en s'arrachant de sa longue vue.

Il tripota les réglages et tourna toutes les molettes existantes avec des mouvements fébriles. Maudit gadget stupide !

« NEKHA ! BURTHOR ! BURTHOOOOOOR ! Hurla-t-il à tue-tête tout en continuant de dévisser l'objet.

Après un bruit de cavalcade paniquée dans les escaliers, les deux mercenaires apparurent à la porte du bureau.

"Ça marche plus ! cria Melrius en leur jetant la longue vue. Réparez le !

Nekha laissa son camarade s'en charger ; c'était lui l'ingénieur du groupe. Du trio, à présent. En plus, la dernière fois Melrius l'avait sévèrement réprimandé pour s'être faite découverte par le père de la gamine. Mais l'Éternel tenait trop à elle pour la tuer comme Dasmek et tous les autres avant lui : elle était la seule à savoir faire les tresses à quatre brins, chose trop rare à son goût pour risquer de la perdre. Elle se retrouvait juste avec Burthor et le lézard.

Melrius, d'ailleurs, avec sa nouvelle natte longue qui lui tombait dans le dos, se raccrochait à la rambarde du petit balcon qui donnait sur le palais, de l'autre côté de la grande place Thévus Mélithar. Ses yeux étaient rivés sur la masse joyeuse et dansante qui s'agitait loin, beaucoup trop loin pour qu'il puisse en distinguer tous les détails à l'œil nu.

'Vite ! Plus vite !

- Je me dépêche, maître, ça arrive, répondit Burthor qui revissait tous les éléments pour la cinquième fois de la semaine.

– Viiiiiiiite ! trépigna l'Éternel en se cramponnant au fer forgé.

– Voilà maître, c'est réparé.

Melrius lui arracha des mains et se remit à scruter cet évènement auquel il ne pouvait participer. De toute façon, s'il avait pu, il n'y serait pas allé. Tous ces gens. Toute cette populace grossière de nouveaux riches, d'aristocrates pompeux, de miséreux en habits du dimanche, tous plus vulgaires les uns que les autres, enrobés dans leur snobisme et leur suffisance... Pouah ! Il n'était pas comme eux, lui ! Jamais il n'aurait supporté cela ! Et puis il aurait été dérangé tout le temps pour danser avec d'affreuses baronnes énamourées, il aurait été obligé de faire des baisemains à des rombières prétentieuses et saluer des marquis mal coiffés ; il aurait dû jouer le jeu, serrer la main à des avocats, des huissiers ou même pires, des vendeurs itinérants ! Ah non, jamais plus. Il avait déjà vécu assez de cousinades pour savoir comment ça se passait, ces fêtes-là.

Mais... Mais il aurait pu danser avec Obscura. Il l'avait découverte tout à l'heure, avant qu'elle ne rentre dans le palais. Il avait été agréablement surpris en la trouvant dans une robe convenable, et maquillée en plus. Il avait cru qu'elle irait en armure d'écuyère, vu ses tendances à se comporter en poney sauvage. Ses cheveux étaient - pour une fois - coiffés. Il nota dans un coin de son esprit de tester une coupe assortie à la sienne, ça ferait chic. Obscura se baladait avec des amies, une petite insignifiante, une plutôt jolie avec un port de tête de princesse, et une autre avec le tour de taille d'un rhinocéros.

Il soupira.

S'il avait pu aller au Bal... Il aurait avancé tout droit vers sa fiancée ; il aurait fendu la populace comme si de rien n'était, les gens se seraient écartés naturellement devant son élégance hors du commun.

Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant