Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// Terminé

Chapitre 2 - Blaireau et papillons, fin

À première vue et même à la deuxième, le château semblait fait de bric et de broc, comme si chaque bâtiment qui le composait répondait aux besoins (et délires) de chacun de ses professeurs, selon des époques et des styles différents les uns des autres. Il y avait une immense tour centrale d'où dépassaient des télescopes, un chenil aux formes typiques du nord du royaume près d'une écurie purement Essealienne, quelques fenêtres d'allure goponiennes sur une façade ornée de gargouilles Verdegrinnes. Une moitié du château semblait ancienne, parfaite pour supporter un siège quand l'autre aurait pu accueillir l'impératrice en personne sans la moindre faute de goût. Une aile entière logeait les employés et leur famille ainsi que les Chevaliers de passage, une autre abritait les chambres des Écuyers, et une dernière servait pour les classes, la bibliothèque, les intendances diverses et tous les bureaux utiles pour éparpiller le trop-plein de papiers administratifs.

Obscura ne connaissait l'école que de l'extérieur. Lorsqu'enfant elle se promenait dans les alentours avec son oncle et sa tante, elle s'était toujours demandé ce qu'il y avait derrière ces hauts murs. Elle connaissait aujourd'hui la réponse: du bazar, du tumulte, un joyeux brouhaha grouillant de professeurs, d'Écuyers, de domestiques et de rats qui se croisaient dans les couloirs.

Les Écuyers de deuxième et troisième année, certains portants dès le matin des morceaux d'armures ou des cottes de mailles en prévision de leurs cours, croisaient les petits nouveaux de leur démarche assurée, prenant des grimoires dans leurs casiers ou y déposant leurs armes d'entraînement. Une bonne humeur de retour de vacance animait les couloirs de l'école. De nouveau, Obscura remarqua la présence d'Écuyers étrangers à la région : des sidhes, des élèves de Gopona, des Terres d'Ambre ou du Sud, et même quelques autres dryades et centaures. Tout semblait si différent du collège !

– Thangris ! Où est passé mon petit Thangris, que je puisse enfin lui botter le derrière ! Rugis la voix tonitruante une Écuyère en armure d'entrainement, lancée au pas de charge.

Elle failli emboutir Obscura qu'elle évita avec un mouvement digne d'une Écuyère de troisième année, éclata d'un grand rire et reparti dans un tintamarre d'acier riveté, une grande hallebarde bringuebalante dans son dos.

– Quelle présence ! souffla Elsya derrière elle, les fleurs sur son front tournant leur coroles vers la silhouette qui disparaissait déjà dans la foule. Tu crois qu'on sera comme elle, plus tard ?

– Je ne sais pas, mais ça à l'air bruyant comme style de vie.

Elles retrouvèrent Garudiel qui s'était perdu dans un couloir de service et retournèrent auprès leurs camarades pour l'heure de cours suivante. Ils rencontrèrent le professeur Gosvetaro, un Chevalier de Gopona qui allait leur apprendre les langages et coutumes des différents peuples du royaume de Thargione. Plus tard, il leur enseignerait les rudiments de la politique étrangère et de ses enjeux, ou comment déceler un indépendantiste, un assassin ou un colporteur au premier regard. Le cours était passionnant, mais le gong retentit bientôt : c'était l'heure du déjeuner.

Obscura prit quelques instants pour aller déposer ses affaires dans son casier et retrouva Elsya au réfectoire. Garudiel — qui pour une fois ne s'était pas égaré à l'autre bout du château — était déjà assis à une table et gardait deux places à côté de lui avec son sac et son pourpoint accroché au dossier.

Obscura se sentit minuscule tant la salle était immense. Le dallage multicolore reprenait les huit Vertus dans une étonnante confusion de teintes, sans compter les murs recouverts de majestueuses tapisseries représentant les Grandes Vertus. Des tables étaient réparties en plusieurs cercles concentriques, dont le plus large était formé de tables en bois brut et de tabourets branlants. La deuxième rangée était nappée de blanc, et enfin une troisième série de tables avait le droit à des serviettes brodées, des assiettes de porcelaine et des couverts en argent. Bien entendu, les sièges assortis paraissaient terriblement confortables, avec leurs accoudoirs et leurs garnitures moelleuses.