Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// Terminé

Chapitre 40 - Jimmy et Jina

« Lire le passé, écrire le présent, imaginer l'avenir. C'est cela aussi notre métier. »
Chevalier Oldarios de Plume d'Or

La dernière semaine avant les vacances d'hiver passa lentement, comme anesthésiée dans des concerts de gémissements, de courbatures douloureuses, de bosses dégonflantes et de bleus verdissants. Obscura se demanda d'ailleurs si le tournoi n'avait pas lieu exprès quelques jours avant l'arrêt des cours pour permettre aux élèves de se remettre de leurs blessures avant d'être rendus en meilleur état à leur famille pour les fêtes.

Autre chose encore que la simple douleur planait dans le regard de ses camarades de classe : une crainte muette se lisait dans leurs yeux lorsqu'ils croisaient les siens. Mis à part ses amis, personne n'était au courant pour son origine éternelle, et pourtant... Il y avait eu des témoins de son combat face au monstre, et certaines rumeurs évoquaient son œil rouge et ses cheveux d'argents comme preuve de son affiliation au peuple sombre.

Obscura n'en montra rien, mais les chuchotis sur son passage la touchaient. Elle n'y était pour rien !

Le jour de son exposé, lorsqu'elle se présenta face à la classe, elle n'eut devant elle qu'un ensemble plaintif d'écuyers aux visages tuméfiés, bardés de bandages et de pansements. Le tableau faisait un joli bouquet de couleurs variées tirant du bleu des ecchymoses au rosé des sutures, aux éclats brillants de pommades et de crèmes, tout enveloppés des blancheurs légères des compresses de tarlatane.

Inspirée par le petit carnet de sa mère, elle choisit de parler de l'Impératrice Shanlia. Elle s'était passionnée sur cette monarque dont on ne savait pas grand-chose en dehors des ruines de ses palais disséminés dans tout le royaume et son intérêt pour les cristaux et la plomberie.

Après son passage au tableau, Maître Patelin fut bien obligé de reconnaître qu'elle avait bien travaillé, contrairement à d'autres élèves qui l'avaient supplié de remettre les exposés à après les vacances alors que la date butoir était déjà dépassée d'au moins deux semaines. Mais c'était comme ça tous les ans, il était habitué, et Dame Tabarh lui avait demandé d'être plus souple et de suivre le rythme des écuyers. Les jeunes gens se concentraient toujours plus sur les exercices pratiques et jamais assez sur ses cours à lui. Plus que deux ans et demi, se répétait-il le soir, en se renseignant sur les fermettes isolées à vendre loin, très loin de Keveal.

Les fêtes se succédèrent sans fin au manoir Luminis. La couronne de jambon avait été accrochée à côté de celle de Vigne, au-dessus de la cheminée. Elle embaumait toute la pièce de senteurs charcutières à mesure qu'elle cuisait à petit feu. Des gouttelettes de graisse chaude tombaient par terre, créant une petite marre luisante devant l'âtre et imbibant le tapis. Tous les soirs, le seigneur Aurèle chantait et ouvrait une nouvelle bouteille pour célébrer la victoire. Il avait même offert aux domestiques de la ferme le tonneau de bière qu'il avait gagné, et Billy eut le droit à une journée de congé pour emmener son amie danser. Tante Clothilde avait commencé à broder une grande tenture qui retraçait les événements du tournoi. Toute la maisonnée fêtait la consécration du nom des Luminis, dont la bonne humeur se répercutait sur les terres alentour.

Mais Obscura passa ces deux semaines à s'impatienter tout en redoutant le retour à Essealis. Elle comptait revoir son amie d'enfance, faire les boutiques d'armement de la capitale, mais aussi discuter avec son père de choses sérieuses. Mais surtout, il y avait le Bal de la Poue du Roan ! Elle regrettait de laisser Edhel tout seul pour cette période festive, mais celui-ci lui assura qu'il allait bien. Mis à part des vertiges réguliers, la perte de souvenirs des événements et celui de son oeil, il ne gardait aucune autre séquelle... Il devait seulement s'habituer à sa nouvelle vision qu'il assurait « très pratique pour viser à l'arc » pour rassurer sa Page. Il avait retiré sa minerve et n'avait plus que quelques bandages légers sur le côté de la tête, conservant cependant son épais pansement sur son orbite meurtrie. Il continuait également à sortir du revers de sa redingote son petit inhalateur en porcelaine blanche pour en inspirer, depuis lors, deux grandes bouffées au lieu d'une.