Obscura soupira (encore). À partir de quand la situation avec son père s'était-elle autant dégradée ?
Ses premiers souvenirs dataient d'avec sa mère. Et puis un jour, son père — enfin son père adoptif — était arrivé dans leurs vies et sa mère s'était... effacée. Elle s'absenta plus souvent en la laissant seule avec lui et elle disparu ainsi petit à petit, un peu moins présente à chaque fois, jusqu'à ce qu'elle ne revienne plus jamais. Saraphia avait abandonné Obscura à son père.
Il y avait bien eu quelques domestiques engagés pour tenir la maison et, tant qu'à faire, s'occuper d'une enfant. Mais la petite fille avait longtemps gardé en elle cette tristesse, cette frustration de ne jamais voir sa mère revenir. Elle l'avait guetté à la fenêtre durant des années. D'abord avec espoir, puis comme une vieille habitude. Soulever le rideau pour jeter un coup d'œil dans la rue était un devenu un geste machinal qu'elle faisait parfois sans même s'en apercevoir.
Obscura aurait aimé avoir une oreille attentive à qui elle aurait confié ses chagrins. Enfant, elle pouvait s'évader dans ses rêveries ; ensuite, le monde réel était devenu trop désagréable pour pouvoir s'en échapper totalement. Et son père, de plus en plus distant à mesure qu'elle grandissait, préféra la fuir plutôt que d'affronter une adolescente farouche en quête de réponses. Sauf quand il s'agissait de son futur et de ses choix, où il était intraitable.
Et puis, il y eut la gifle. Jamais, jamais il n'avait levé la main sur elle. Mais le jour où il lui avait annoncé qu'elle partait à Keveal, elle avait explosé. Elle lui avait reproché son comportement, plus proche de celui d'un garde-chiourme que d'un père.
Elle lui avait dit des choses dures qu'elle gardait au fond de son cœur depuis trop longtemps.
Obscura sourit avec amertume en y repensant. Elle regrettait ses accusations, maintenant qu'elle savait qu'il n'avait jamais été son vrai père. Pourquoi avait-il accepté de s'occuper d'elle dans ce cas ?
« Pourquoi tu décides tout à ma place ? Pourquoi c'est toujours toi qui décides pour moi ? J'ai le droit de choisir ce que je veux faire ! Ça te fait plaisir, c'est ça ? Comme si j'étais une poupée que tu poses là, que tu envoies ensuite à Keveal pour te débarrasser, que tu déguises en Chevalière pour te faire bien voir ? Je ne veux pas être Chevalière, et je suis sûre que maman non plus ne le voudrait pas parce que c'est mon choix, et qu'elle le respecterait. Et ça, tu ne le comprends pas ! »
La gifle, froide, implacable, l'avait surprise. Tremblant d'émotion, son père l'avait regardé avec un mélange de désespoir sans fond et d'épouvante qui avait marqué la jeune fille plus fort encore que le coup, et l'instant d'après il était parti. Il ne revint que le jour suivant, au petit matin. Obscura s'en alla dans la semaine. Elle ne sut jamais où il avait disparu cette nuit-là.
Elle soupira pour la trente-deuxième fois qu'elle était arrivée. Elle qui avait tant hâte de revenir à Essealis, où avait bien pu s'évanouir sa motivation ?
Allongée sur son lit, elle observa la pièce d'un air vide. Cela faisait à peine moins d'un an qu'elle s'était absentée et pourtant sa chambre lui paraissait déjà si... enfantine.
Tout ne lui inspirait qu'une vie de petite fille plutôt que celle d'une jeune femme, Écuyère et future fière Chevalière de Thargione. Aux murs, des tapisseries à l'effigie de ses groupes de troubadours préférés (Kevin le Baladin, Karellia et ses joyeux garous, Reflet d'Écorce) ou de ses opéras favoris (« Les aventuriers du lac de Perche », « A la poursuite du chamilla perdu », « La Légende du Chevalier d'Or au Tabouret Cendolien »), des dessins qu'elle avait faits il y a très longtemps (avec des licornes, des paladinos et une débauche de fleurs et d'arc-en-ciel à paillettes) et qu'elle n'avait jamais eu le courage de jeter, quelques cristographies que son père eût faites et qu'elle trouvait jolies. Sa bibliothèque, pleine de livres lu et relu (la saga de « Lara et le secret des pierres molles » qu'elle avait dévorées, « Amélie et le complot des charpentiers fou »), des recueils d'enluminures amusantes (« Les épatantes péripéties de Rigolo-Padpo », « Fripon-Chacha et Coquin toutou : la pièce de théâtre »), et quelques parchemins de potins sur le gratin d'Essealis (« Belles mirettes », « Tavu-Tuvois »), qu'elle avait acheté sans être vraiment intéressée mais parce qu'Alilia en était fan. Elle attrapa un rouleau qui datait d'un an et demi au moins et le feuilleta. « Aristotte : numéro spécial rousseur gourmande ! Rendez vos cheveux plus soyeux et transformez-les en piège à garçons ! » Elle leva les yeux au ciel en se souvenant y avoir cru. N'importe quoi. Elle l'avait acheté avec sa meilleure amie un jour où il pleuvait, que son père avait une nouvelle fois refusé de lui répondre, et qu'elle voulait se sentir bien, pour une fois.
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Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// Terminé
FantasíaVoici le TOME 1 corrigé, amélioré, allongé, relue 100 fois et surtout TERMINÉ des Larmes Noires du Dragon ! ✹✹✹ Avec sa chevelure rouge, son loup apprivoisé, son épée héroïque et son nom aussi bizarre que difficile à porter, Obscura Luminis est pour...