Chapitre 60 - Répétitions

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Les longs doigts gantés de Melrius tapotèrent en rythme sur son genou recroquevillé. Il se retint de siffloter quelque chose ; après tout, il devait rester discret encore quelques minutes. Un coup d'œil vers la fenêtre lui indiqua qu'il était dissimulé dans les ombres de l'escalier depuis au moins une demie heure, peut-être même plus, il n'était pas astronomologue après tout. Par la baie vitrée du jardin, il avait vu la petite dryade abandonner sa chère et tendre au milieu des plantes. II s'était hâté de rentrer dans le bâtiment en passant par la porte de service. Personne ne montait la garde par là, ensuite ça avait été un jeu d'enfant de traverser les corridors sans se faire remarquer, en profitant des recoins sombres de cette école absurde.

Il avait trouvé le grand couloir qui menait jusqu'au jardin intérieur, et prit l'audacieuse décision de se dévoiler à sa fiancée quand elle reviendrait de ses stupides rêvasseries botaniques. Il sortit de sa cachette et s'étira. Le lieu, la lumière, l'envolée de marches blanches se prêtaient parfaitement à une scène de révélation. Alors qu'il répétait pour la troisième fois sa descente d'escalier — un pas à gauche, deux pas à droite, révérence et clin d'œil avec le sourire charmeur n° 6 tout en remettant sa mèche folle derrière l'oreille — il avait entendu du bruit. Mais pas la marche caractéristique de sa fiancée aux enjambées raides et lourdes, plutôt une cavalcade empressée.

Des écuyers. Leur chef, une espèce de roquet hautain, leur criait de se dépêcher pour la chasse au loup.

Très bien, qu'ils aillent se faire manger dans les bois. Tout ce que Melrius voulait c'était que sa bien-aimée sorte enfin de son fichu potager. Il attendit un peu avant de reprendre son entraînement — un pas à gauche, deux à droite, révérence, clin d'œil, sourire et mèche de cheveux — quand il fut encore dérangé.

Cette fois-ci c'était le sidhe. Celui qu'il avait blessé lors de leur rencontre aux ruines de Shanlia, des mois plus tôt. Le mentor d'Obscura. Melrius se retint d'aller lui régler son compte ; sans Nekha ou Burthor pour s'en occuper, il allait se retrouver avec un cadavre sur les bras.

Il regarda passer son rival. Un affreux rat borgne et tout pelé le guidait en couinant. Allons bon, qu'ils aillent se perdre dans le château, eux aussi !

Mais qu'est ce qu'elle fichait, sa fiancée ? Elle comptait se tresser combien de couronnes de fleurs avant de daigner suivre son Plan ?

Il reprit ses exercices chorégraphiques — pas à gauche, droite, révérence, clin d'œil, sourire et mèche — lorsqu'il fut à nouveau interrompu par des bruits de pas.

Provenant du couloir de gauche au lieu de l'autre qui menait au réfectoire, cette fois-ci c'était une écuyère — vêtue d'une très jolie toilette — qui trottinait en se cachant le visage, poursuivit par un garçon d'une banalité affligeante. Il s'excusait, elle pleurnichait, et ils s'échangeaient des platitudes déconcertantes sur le respect mutuel et ce genre de fadaises. Melrius se demanda ce qu'elle pouvait bien lui trouver.

Il attendit que les bruits de pas s'atténuent et reprit sa gymnastique.

Pas à gauche, droite, révérence, clin d'œil et bon sang on est jamais tranquille dans cette école ! pensa-t-il en se précipitant une fois encore dans l'obscurité.

Ce château est un véritable moulin, les étudiants s'y baladent comme bon leur semble alors qu'il y a en ce moment même un bal avec l'impératrice ! Oui, l'Impératrice ! Et personne ne l'a remarqué !

Melrius souffla du nez. Ce manque de respect pour ses invités était incroyable. Jamais il ne laissera ce genre de chose passer une fois qu'il dirigera tout ce petit monde.

Il observa le nouveau groupe de malotrus qui l'importunaient sans même le savoir. Un semi-sidhe à écailles, la dryade et... sa Wyverne ?

– Allons bon, ils l'ont récupéré à l'école. Ils acceptent vraiment n'importe qui, soupira l'Éternel.

Les trois écuyers se dépêchèrent avec une mine préoccupée sans se douter un instant que quelqu'un d'autre était là. Lorsqu'il se retrouva de nouveau seul, Melrius, excédé, émergea des ombres. Il attendit un peu avant de reprendre son manège, juste au cas où le comique de répétition n'était pas encore terminé.

Gauche-droite-révérence-clin d'œil — AH ! Elle arrive !

Il le sentait !

Elle arrivait — vite, très vite, même ! – et il prit la pose en haut de l'escalier. En plus, un rayon de lune tombait divinement bien sur son épaule, c'était le moment idéal !

Il entendit se rapprocher un bruit de course — lourde, très lourde ! – et il reconnut bien là le pas puissant (et botté) de la future reine des Éternels.

– Ah ! Quelle coïncidence de vous trouver ici... (Pas à gauche, pas à droite)... ma tendre et délicieuse amie. (Révérence) M'accorderez-vous cette dan...

Une Wyverne, une dryade, un semi-sidhe, une jolie écuyère et son insignifiant compagnon, un mentor, un écuyer hautain et sa demie douzaine d'acolytes, et évidemment Obscura, toujours Obscura, filèrent à toute vitesse devant lui en hurlant, sans s'arrêter ni même lui accorder le moindre regard. Il se demanda ce qu'il avait raté quand un énorme chacal féranthrope, surmonté de l'affreux rat aux couinements stridents, traversa en trombe le couloir à leur poursuite, soulevant la cape du jeune Éternel dans un grand mouvement d'air. Interdit, Melrius cligna des yeux en voyant se ruer le monstre vers la salle de bal.

- Mais c'était pas dans mon Plan, ça ! s'écria-t-il en se précipitant à son tour dans le couloir.

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Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant