Chapitre 44 - Jardins et Impératrice

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« Être Chevalier, c'est chanter les Vertus par toutes les fibres de son être comme un refrain oublié mais jamais disparu. »
Chevalier Lushan de Chardon Bleu

Les tours blanches du palais impérial s'élevaient dans le ciel en étendant leurs ombres sur les toits de la ville, tel un immense cadran solaire hors de prix et un peu encombrant mais qui faisait la fierté de ses habitants. C'était un prodige d'architecture de haut niveau, le chef d'œuvre de l'architecte Cusnimus — qui, une fois le projet fini, décida d'arrêter sa carrière pourtant encore jeune car elle savait qu'elle ne pourrait rien offrir au monde d'aussi beau ni abouti que cette œuvre-là.

La légende racontait que le palais était si grand que l'architecte elle-même, en voulant faire visiter l'Empereur Theodugnan son commanditaire, s'y perdit durant un jour et une nuit. On les retrouva le lendemain matin, exténués, les yeux hagards, avec la ferme intention d'accrocher des panneaux et des plans descriptifs un peu partout.

On le considérait avec raison comme le plus beau monument de la capitale, sans conteste l'une des Douze Merveilles de Thargione si ce n'était la première, et l'une des vingt et une Perfections du Monde. Il était classé troisième au palmarès des plus beaux panoramas, juste derrière la vue sur la mer depuis le phare d'Olima et celle de la grande tour de Beofer. Le Palais d'Or, appelé ainsi non pas parce qu'il avait coûté presque la moitié de la fortune du pays, mais à cause de ses toits en tuiles dorées et laquées qui reflétaient le soleil en journée et flambaient d'une mer de braises multicolores lorsque la nuit tombait. C'était un spectacle fascinant à lui seul.

On aurait pu croire l'architecte prise d'une frénésie de marbre dans sa prouesse de construction, avec des sculptures et des arches immenses, des toits pentus, ardoisés, bombés ou bulbeux et colorés, des colonnades au moins par centaines avec des escaliers qui se croisaient et s'entortillaient dans des jeux de perspectives folles, des tours qui se perdaient dans les nuages, des frises qui courraient le long des murs d'un blanc pur, et des profusions d'ors, d'argents, de platine, de palladium et de chevalièrium, et de pierres précieuses enchâssées partout en mosaïques fine. La bâtisseuse, avec des finances sans limites, avait voulu tout mettre, tout oser, tout montrer, et il fallait bien reconnaître que le résultat était à la hauteur du chantier qui avait duré une bonne décennie.

Chaque fois que le roi était venu s'assurer de l'avancée des travaux, il avait été fasciné par une nouvelle idée géniale qu'on lui proposait, rajoutant une vingtième tour, un neuvième jardin de fleurs chantantes ici, une grande fontaine avec jets d'eau musicaux par là et un terrain de jeu pour les royales parties de Tabouret Cendolien. Et partout, partout, partout, s'affichait le motif des paons, symbole impérial de la lignée Mélithar depuis des générations, jusqu'à en être hypnotisé.

Le palais était l'œil d'un paon qui surveillait sa ville, perché au-dessus de sa branche du fleuve, ouvrant sa roue de jardins pour séduire ses sujets.

Et enfin il y avait la volière d'argent (en réalité en acier inoxydable parce que c'était plus pratique à entretenir), le « deuxième œil » du palais d'Essealis. Cette oisellerie était réservée à la Grande Garde des Paons : les oiseaux impériaux. On y gardait toutes sortes de paons, des classiques au cou bleu et à la traîne verdissante aux éclats de feu orangés. Il y avait aussi des paons plus rares, comme les paons daltoniens au cou orange et à la roue jaune, brillants de bijoux violets, des paons albinos qui rayonnaient par leur blancheur et contrastait avec les paons mélanistes et mélomanes, si sévères dans leur plumage noir et chantant des requiems, des paons arlequins, des paons pimpants et des paons pompeux, ainsi que les paons sacrés et les paons sacripants, avec leur petite couronne rouge tintinnabulante sur la tête.

Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant