Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// Terminé

Chapitre 51 - Baignoire et Peignoir

– Nekha ! Burthor !

Melrius s'égosillait, assis dans sa baignoire débordant d'une délicate mousse rose et fumante.

Il passait un très mauvais moment. Très très très mauvais.

Et quoi de mieux pour se relaxer qu'un bon bain avec des huiles, des lotions parfumées et des trucs qui font des bulles ?

Il avait voulu profiter du clapotis reposant du ruisseau sans pour autant se glacer les os et mettre les pieds dans la vase. C'est pourquoi il avait fait déplacer sa baignoire à côté d'un petit cours d'eau. Il tentait de se calmer en prenant un bain en pleine nature, au milieu de la forêt, si silencieuse et si relaxante et bon sang pourquoi ses deux serviteurs n'arrivaient-ils pas ?

Il soupira, ferma les yeux et renversa la tête en arrière. Sa charlotte de bain froufrouta contre le rebord du grand baquet.

Lors du bal, il avait sauvé Obscura de peu, parce que cette idiote s'était mise dans le crâne de protéger l'impératrice en personne. C'était bien noble de sa part mais complètement hors de son plan. Une fois le carreau tiré, il avait dû faire vite. Il avait eu peu de temps avant que les gardes ne trouvent son projectile et ne débarquent dans sa cachette. Il avait fait ses valises à la hâte, récupéré son wyvern, et s'était s'enfuit de la ville comme un vulgaire voleur. Un voleur ! Il fulmina en repensant à tous ces vêtements qu'il avait oubliés là bas... Une si belle robe de chambre en velours, son chapeau à pompon pourpre ! Quelle misère !

Une longue jambe pâle jaillit de la mousse, et le jeune Éternel la nettoya avec application, toujours perdu dans ses pensées.

Il avait envoyé Burthor de l'autre côté de la ville pour tuer des gens — n'importe qui, il s'en fichait — juste pour créer une fausse piste. Selon ses calculs, cela lui avait laissé une demi-journée d'avance, voir peut-être plus, pour rentrer au château de Rosdranne. Il avait passé un voyage particulièrement désagréable, tassé au milieu de ses bagages en se retenant de tuer tout le monde. Ça aurait fait une nouvelle trace de son passage.

Quelle n'avait pas été sa mauvaise surprise en voyant que la Wyverne, Tlaratrucmuche, avait disparu ! Et là, de nouveau, il avait fallu faire les valises à toute allure ! Parce que bien que cette idiote ne connaisse pas précisément l'endroit où elle avait été prisonnière, ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'on ne vienne frapper à sa porte pour l'enquiquiner. Il avait tout fait déménager à la hâte, s'empêchant encore de se venger sur ses hommes de main parce que sinon il se serait retrouvé bien embêté à transporter tous ses bagages tout seul. Il avait trouvé une ferme isolée, loin de tout (et loin du confort aussi semblait-il), et y avait rassemblé ses affaires, ainsi que ce satané Moxotlyss qu'il avait fait enfermer dans la cave.

La deuxième jambe, enfin propre, replongea dans l'eau savonneuse. Melrius se lava les bras, les mains, les ongles, avec une grosse éponge naturelle comme pour se débarrasser de chacun de ses soucis.

Évidemment, son Plan ne prenait pas en compte l'évasion de la jeune wyverne, ainsi que l'instabilité d'Obscura. Il devait sans cesse revoir son Plan, pourtant parfait. Il ne comprenait pas pourquoi sa fiancée réagissait comme ça. Oh, bien sûr il savait dès le début qu'elle allait refuser. Mais c'était plutôt les effets secondaires des Larmes Noires qu'il ne comprenait pas. Elle réagissait bien trop vite... et bien trop fort. Son plan devait encore être raccourci, peut-être même mis à exécution cette année. Tant pis pour toute la mise en scène qu'il avait imaginé sur trois ans, cela semblait compromis.

Bon, mais que faisaient-ils encore, ces deux idiots ?

– Nekhaaaaa ! Burthooooor ! vociféra-t-il en frappant la surface de l'eau.

Et voilà, à cause de leur lenteur il se sentait de nouveau tout stressé !

– Maître ? Vous avez fini votre bain ? s'inquiéta Burthor en arrivant au trot, un tablier à froufrous noué autour de la taille.

– J'ai froid ! L'eau est tiède !

– Vous voulez votre peignoir ?

- Évidemment ! trancha Melrius en froissant son beau visage.

Burthor s'en alla en vitesse chercher le vêtement, laissé à l'intérieur de la petite bâtisse, sur le poêle pour qu'il soit bien chaud.

Au même moment arriva Nekha. Elle arrêta son cheval non loin et hésita.

Melrius soupira, et, appuyant son coude contre le bord du baquet, lui fit signe d'approcher.

- Et bien ? lui lança-t-il d'une voix tranchante.

– La police de Keveal et les Chevaliers de l'école fouillent le château. Ils... ils ont trouvé vos peintures... commença la femme en hésitant. Je suis désolée, maître. Ils les ont brûlées.

– Ah ! Les barbares ! C'est l'Art et la Beauté qu'ils assassinent ! s'écria-t-il dans de grandes gerbes d'eau. Les salauds ! Les brutes !

Il se retint du mieux qu'il put, mais des larmes scintillèrent sur ses longs cils. Qu'il était malheureux ! Il n'avait pas pu emmener ses nouveaux chefs d'œuvres dans son misérable refuge. Déjà qu'il n'y avait pas l'eau courante ni les commodités... Quelle ignominie. Il détestait le camping. Toute cette nature. Les animaux qui... qui font du bruit, les oiseaux qui sifflotent, les insectes qui piquent, et la terre ! De la boue partout, jusque sur son beau tapis ! Tout ça, c'était bon pour les dryades, ou les centaures ou n'importe quel scout briandon ! Mais lui, Melrius, prince Éternel, héritier du Trône Sombre, n'était pas fait pour vivre à la dure comme tous les bouseaux de Keveal !

– Donc ils ont retrouvé la wyvern, et elle a tout cafté, siffla-t-il avec une grimace de rage. Où est le mien, d'ailleurs ?

– À la cave, avec Moxotlyss. Il essaye de le faire parler avant qu'il n'entre en hibernation, expliqua Burthor en apportant le peignoir moelleux et bien chaud.

– Alors qu'ils y restent !

Melrius se leva, faisant ruisseler l'eau parfumée sur sa peau nue et retira sa charlotte pour dévoiler des rangées de papillotes qui enserraient ses longs cheveux. Il ferma les yeux, ouvrit les bras en croix et attendit que Burthor vienne enfiler sur ses épaules le vêtement réconfortant.

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