Les Larmes Noires du Dragon Tome 1 - Écuyère /// v2/// Terminé

Chapitre 35 - Arbalète et Poésie

– Bravo Corbeau ! Bon loup ! Tu es le meilleur !

Obscura couvrait son compagnon de caresses. Il reprenait son souffle tout en savourant les flatteries, la langue pendouillante sur le côté.

Maîtresse Esobel était passée quelques instants plus tôt sous la tente pour réparer les roues de Corbeau. Le Machin tenait à nouveau en place grâce à un petit bout de ficelle et un morceau de pâte collante.

– Pas mal, ton chien, fit une voix acerbe derrière Obscura.

C'était Bérinon. Il la toisa de son regard hautain, entouré de ses habituels acolytes au front bas.

– C'est un loup, mais peut-être que c'est un peu trop complexe pour toi, rétorqua-t-elle sans même lui accorder un regard.

– Les roulettes, c'est parce qu'il est déjà cassé, c'est ça ? Je l'aurais fichu à la poubelle à ta place, avec ton affreux cimier boueux. Mais peut-être que tu ne mérites pas mieux, après tout.

– Il n'est pas cassé !

– Il est aussi estropié que toi, petite garce. J'ai vu que tu étais inscrite à toutes les épreuves, je vais donc avoir le plaisir de te corriger sur le terrain, devant tout le monde, susurra-t-il avec un méchant sourire. Et il n'y aura pas de lamentable Chevalier de Misère pour te sauver ni de petit paysan crotté pour ramasser tes affaires cette fois-ci. Prépare-toi à mordre la poussière parce que je ne retiendrais pas mes coups.

Elle allait pour lui mettre poliment sa main dans sa figure quand l'un des garçons la poussa dans le décor. Elle bascula dans un sac de graines, et Bérinon éclata de rire avant d'emporter sa clique avec lui. Il devait récupérer le molosse qu'on lui avait attribué pour l'épreuve de Compagnonnage des deuxièmes années. Ils devaient maîtriser et imposer leur volonté à des bêtes qu'ils ne connaissaient pas, voire même des créatures sauvages pour les plus âgés.

– Bravo Obscura ! Félicitation à toi aussi Corbeau, tu étais vraiment le plus beau de toute la course, j'en suis sûre, je l'ai senti ! s'écria Elsya en apparaissant peu après, une arbalète dans les mains.

– Merci Elsya. Asharty participe également au Tir ?

- Oui, même si c'est sa plus grande faiblesse... C'est juste pour enquiquiner Thangris. Par contre, moi je ne me laisserai pas faire, je préfère te prévenir.

Edhel passa à son tour pour la féliciter. Il portait cette fois-ci une tunique de mailles recouverte d'un vêtement ample sans manche qu'il avait serré à la taille d'une ceinture en cuir rouge.

Durant son épreuve de Compagnonnage, il tirerait au hasard la créature qu'il devait soumettre en moins de trente secondes avant de l'envoyer à son tour chercher une assiette de charcuteries et un verre de jus de fruits. Edhel ne parut pas stressé le moins du monde et reparti vers le terrain quand l'appelèrent les trompettes.

Les deuxièmes années revinrent alors en laissant la place à leurs aînés ; ce fut enfin le tour du jeune Sidhe. Edhel fut incroyable, son charisme subjuguant bêtes et public, et à la fin de l'épreuve il faisait danser une polka à son taureau sauvage bicéphale, sans avoir haussé ni le ton ni le sourcil une seule fois. Quand il sortit du terrain premier du classement, beaucoup de supportrices soupiraient en espérant le revoir se battre (et si possible torse nu, mais elles abandonnèrent bien vite l'idée à cause de la saison ; il aurait été dommage qu'il s'enrhume.)

Pour permettre aux écuyers de se reposer un peu, les professeurs volontaires firent des démonstrations. Le Chevalier Jakut époustoufla le public en soumettant sans le moindre effort un griffon sauvage. En un regard et quelques mots murmurés à son oreille, la créature jongla sur un tonneau.
Chevalière Douceliah fit parcourir Gribouillette et Papouillon sur la longue piste : ils détruisirent tout, ne laissant derrière eux qu'un champ de bataille dévasté. Et après une incroyable démonstration du Chevalier Gosvetaro de l'art du tir à l'arc monté de Gopona, les écuyers furent appelés pour la prochaine épreuve.

Ils entrèrent. Bérinon était là aussi, avec son arc long et ses manières arrogantes. Asharty s'installa avec sa manubaliste, à côté de Thangris et de sa sarbacane des montagnes pour le provoquer avec bonne humeur, et de Qahim armé d'un arc à poulies. Edhel, avec son grand arc sidhe, se positionna près d'Obscura avec un arc court, pendant qu'Elsya remontait son arbalète.

- Bonne chance, Edhel, souffla Obscura.

- Pourquoi de la chance ? Je sais qu'on peut arriver, lui répondit-il avec un sourire.

Il défit le bouton inférieur de son manteau pour dégager ses longues jambes (« Ooooooh ! » Soupirèrent ses supportrices dans le public), il passa la main dans ses cheveux (« Aaaaaah ! » s'extasièrent-elles ensuite) et finalement banda son arc d'un geste expert (« Holala! » manquèrent-elles de s'évanouir).

Obscura remarqua que le stade entier retenait son souffle en admirant son mentor. Et elle aussi, d'ailleurs.

Alors il fallut tirer sur des cibles. Des mouvantes, enflammées, avec plusieurs flèches en même temps, ou bien dans des positions improbables. Edhel était fort, rapide, adroit, il avait l'estime du public. Thangris et Asharty étaient trop occupés à se provoquer pour atteindre son niveau. Ils perdirent plus de points qu'ils n'en gagnèrent, mais passèrent un très bon moment, ce qui pour eux était le principal. Bérinon, trop sûr de lui, fit un joli score, mais se plaignit du vent (qu'il n'y avait pas) qui avait détourné ses flèches. Louhan manqua Maître Patelin de peu, Idrid essaya quand même de récupérer l'honneur de sa trimarcisia comme elle le put, Sébaste, Lidoire et Tristan prenaient les choses au sérieux et ne ratèrent que de très peu le sans-faute, et Hulta le centaure regretta de ne pas avoir emporté ses lunettes bien qu'il trouvait qu'elles ne lui allaient pas. D'autres écuyers de deuxièmes années étaient très bons, ceux de troisième année excellents, faisant honneur à la tradition du tournoi. Et même Obscura, pourtant peu à l'aise, atteignit presque plusieurs fois le presque centre. Une fin qu'elle n'aurait jamais pu espérer sans l'entraînement terrible que lui avait imposé son mentor.

Les résultats cette année furent remarquables mais ils parurent minables en comparaison d'Elsya qui fit des miracles. Elle parvint au le score le plus haut qu'on ait jamais vu dans cette épreuve, de mémoire de Patelin. Sans mal, elle pointa son arbalète tout en chantant, dansant ou sautant en même temps, et son carreau se ficha toujours au centre le plus parfait de ses cibles. À peine le projectile tiré, elle retendait la corde de son arme avec son cranequin pour viser de nouveau. Elle visait... tirait tchac !, remontait cric cric, visait... tirait tchac !, remontait cric cric, et riait !

Elle remporta la première place haut la main, avec le maximum de point possible, et puis la deuxième et troisième place aussi tant qu'on y était, tant son score était époustouflant. C'était bien la première fois qu'une écuyère (et de première année qui plus est !) y parvenait, et surtout si aisément (en tout cas, de mémoire de Patelin). Elsya, exquise dryade, fut acclamée par la foule en liesse.

- Tu étais incroyable, Elsya ! C'était stupéfiant ! La félicita Obscura en sortant du terrain.

Pour toute réponse elle s'empourpra parce qu'elle n'était pas habituée à toute cette attention. Asharty arriva soudain comme un boulet de canon, la souleva et la fit tournoyer dans les airs avant de déposer un gentil baiser sur sa joue toute verdie. Les fleurs dans ses cheveux s'ouvrirent d'un coup.

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