Chapitre 2 ~ Scott

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Le grésillement des œufs brouillés dans la poêle me fait lever les yeux de mon portable. Je mélange un peu pour éviter que le petit-déjeuner ne brûle en quelques secondes et prépare deux chocolats chauds en même temps. Cinq minutes plus tard, tout est prêt. Je prends un pot de confiture et des tranches de pain, avant de tout disposer sur un plateau que j'emporte. Mes pas me mènent jusqu'au balcon. Mon père est allongé sur un transat et contemple le ciel bleu d'un air absent. Il lève les yeux vers moi en m'entendant poser doucement le plateau sur la table basse et esquisse un sourire, sans pour autant décrocher un mot.

Le soleil éclaire doucement ses cheveux grisonnants et ses traits tirés. Mon père est de ceux qui ne font pas particulièrement attention à leur physique, mais qui sont pourtant dotés d'un charme naturel, dont il ne se vante jamais. J'aime bien parfois me dire que je tiens ça de lui.

À côté du plateau, une bouteille de bière vide y repose. Je soupire imperceptiblement en la voyant, sachant qu'il n'est que 8h30, mais ne fait aucune remarque à haute voix. Mon père mange silencieusement ce que j'ai préparé et reporte son attention sur le ciel, tandis que je me délecte de mon chocolat chaud sur un tabouret. Je devrais être habitué à ce quotidien morne, pourtant c'est toujours autant douloureux. J'aimerais que mon père se reprenne, qu'il commence enfin à revivre, mais c'est toujours plus facile à dire qu'à faire. J'ai l'impression qu'à chaque fois qu'il pose les yeux sur moi, il la revoit elle, et c'est ce qui fait le plus mal. Quand ses yeux gris se posent furtivement sur moi, une pointe de tristesse imprègne immédiatement ses prunelles, nous rappelant tous deux ce qui s'est passé et ce qui nous a mené à cette situation.

« Tu devrais aller voir ta mère, lâche soudainement mon père. »

Je me tourne brusquement vers lui. Il boit son chocolat chaud d'un air impassible, sans pour autant me regarder.

« Je suis resté deux semaines chez elle le mois dernier, rétorqué-je froidement.

- Scott... tu sais bien que ce n'est pas assez. Vous n'avez pas eu l'occasion de vous voir pendant un moment en plus de ça. Elle aimerait vraiment te revoir.

- Je n'ai pas envie de la voir moi. Je suis majeur maintenant, alors elle n'a plus à me dire quoi faire. Elle devrait déjà s'estimer heureuse que j'accepte de la voir pendant les vacances. »

Il tourne furtivement la tête vers moi et lâche un soupir.

« Fiston... tu sais très bien ce que je pense de tout ça. Ne laisse pas nos problèmes d'adultes t'affecter. Elle reste ta mère avant tout. »

Sur ces mots, il se lève et emporte le plateau, comme pour me laisser méditer. Je passe les minutes qui suivent à ruminer. Je déteste le voir comme ça. Depuis ce qu'il s'est passé, mon père n'est plus du tout le même. Il n'est que l'ombre de lui-même, enfilant des bouteilles et les verres d'alcool chaque jour. J'aimerais pouvoir l'aider, mais je ne sais pas comment. C'est comme si rien de ce que je ne pourrais faire ne l'aiderait. Mon père a besoin qu'on le bouscule, mais est-ce vraiment à moi de le faire, là maintenant ? Il a déjà suffisamment souffert comme ça, je ne veux pas m'emporter contre lui alors que dans toute cette histoire, c'est lui la première victime. Je souffre terriblement aussi, mais elle était son tout, celle qu'il aimait depuis toujours et elle a trahit cet amour inconditionnel que mon père lui portait.

Ma mère avant tout, la bonne blague. Elle peut bien jouer le rôle de la génitrice parfaite devant les autres, et même devant moi, mais ce jour-là, quelque chose s'est brisé. Ma fameuse mère a tout détruit et emporté les cendres de son carnage avec elle, ne laissant rien à part une montagne de non-dits qui pourrissaient déjà depuis plusieurs années. Le cœur de mon père a été réduit en miettes, tout comme l'estime que je pouvais avoir de ma génitrice. Nous sommes tous les deux tombés de haut, sauf que mon père était à un milliard d'étages au-dessus de moi. Il a beaucoup plus souffert que moi et c'est ce qui m'empêche d'envisager un quelconque retissage des liens avec ma mère. Elle ne mérite pas que je lui offre ce privilège, tout comme elle n'a jamais mérité l'amour que lui a voué mon père pendant toutes ces années.

Juste comme avantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant