De tous les endroits qu'elle avait eu l'opportunité de visiter sur cette Terre, les aéroports figuraient parmi ses préférés. A de nombreuses reprises, l'idée de chercher à travailler au sein d'un grand aéroport international lui avait traversé l'esprit. Elle aurait pu admirer, quotidiennement, les adieux déchirants et les retrouvailles larmoyantes. Elle aurait pu aussi imaginer les rêves qui accompagnaient les départs et la nostalgie qui accompagnait les retours. A sa guise, elle aurait pu observer des heures durant le ballet des avions qui allaient et venaient, emportant avec eux des foules de passagers aux intentions diverses. Des multitudes de réponses sur l'humanité entière se trouvaient en ces lieux, elle en était persuadée.
Mais elle s'était choisi un tout autre avenir. Elle se projetait dans une vie bien plus sérieuse. Et si vraiment elle avait pu faire carrière dans l'aéroportuaire, ce n'aurait pas été pour regarder les avions décoller. Elle rêvait bien plus grand. Elle rêvait d'être en haut de la pyramide.
Fille unique, son père avait concentré sur elle la totalité de ses efforts. Il avait dû se battre, chaque jour, pour qu'elle ne connaisse pas la misère et la précarité, et il avait particulièrement bien réussi. Quelques mois après sa naissance, il avait créé une affaire plutôt bancale au départ, qui avait fini, à force d'obstination et de dur labeur, par devenir une entreprise florissante dans l'import-export. Il avait quitté son quartier populaire du nord de Marseille, avait mis sa mère à l'abris, et tout mis en œuvre pour que sa fille suive une scolarité dans les meilleures écoles privées de la ville. Alors elle tâchait de devenir quelqu'un dans ce monde. Elle visait l'excellence. Elle voulait arriver en haut de l'organigramme. Elle se sentait redevable.
Sa mère, avait hissé les voiles, littéralement, quelques jours seulement après sa naissance. Elle n'avait jamais envisagé la maternité comme une bonne chose, et sans même s'être assurée que le père de son rejeton parvienne à s'en occuper convenablement, elle avait embarqué sur un voilier et avait foncé vers l'horizon. Aux dernières nouvelles, c'est-à-dire quelques mots à l'arrière d'une carte d'anniversaire ridicule pour ses 10 ans, elle se trouvait dans un village de Hippies, sur une île Grecque. Grand bien lui fasse.
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- Maé, tu as bien ton passeport ? Lui demandait son père.
- J'ai bien mon passeport Papa... Elle rétorquait, un peu blasée.
Contrairement à ce qu'avait l'air de croire son père, Paris n'était pas au bout du monde. Incroyable pour quelqu'un dont le travail consistait à organiser l'acheminement de toute sorte de marchandises de l'autre côté de la planète. Incroyable pour quelqu'un qui n'avait eu de cesse d'encourager sa fille à découvrir le monde, à travers des voyages, des bouquins ou des documentaires. Mais il était Marseillais avant tout, et n'avait finalement que très rarement quitté la cité phocéenne. Au mieux, il partait en voyage d'affaire, ne restait pas plus que nécessaire sur place, dormait quasiment à l'aéroport, et regagnait ses pénates au plus tôt. Sa fille chérie, la prunelle de ses yeux, son diamant, partait s'installer à Paris, et ça lui broyait le cœur bien plus que de raison. Il sentait son enfant lui échapper, et l'imaginer seule dans la capitale provoquait en lui un violent sentiment de panique. Mais il était son père, il se devait de faire bonne figure. C'était lui, le pilier de la famille, il était impensable qu'il montre ses failles. Toute sa vie, il l'avait dédiée à cette enfant, devenue une sublime jeune femme, il était son modèle, et il comptait bien le rester.
Sa naissance avait été un véritable cataclysme dans sa vie. Lui qui passait son temps à zoner dans son quartier, à vendre un peu de cannabis avec ses amis, et à se dégotter les plus belles touristes, avait eu l'impression de s'être jeté dans le vide, sans élastique, lorsqu'il avait eu ce minuscule bébé dans ses bras. Il n'avait été au courant de sa paternité qu'après sa naissance. Sa mère, Lydia, avait déposé ce bébé dans un couffin devant sa porte, avait sonné, et avait pris ses jambes à son cou dès lors qu'elle avait vu la poignée s'actionner. Il avait essayé de la rattraper, de la retenir, de lui demander des explications, mais elle avait été bien plus réactive. Un taxi attendait en bas de son immeuble, et avait filé avant qu'il n'ait eu le temps de sortir du bâtiment. Alors il était remonté, le cœur menaçant de lâcher, et avait observé longuement cet innocent bébé. Il n'avait pas eu à attendre de lire la lettre coincée dans le sac à langer pour comprendre qu'il était le père. Elle avait ses traits, c'était indéniable. Il n'avait que 18 ans, et il était père.

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EQUILIBRE INSTABLE [MEKRA]
Fanfic"Pour croire avec certitude, il faut commencer par douter." HAKIM x MAE