Chapitre 14

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Léa avait obtenu du docteur Joseph quelques livres dont une bible, une corde à sauter et un cahier dans lequel elle décrivait ses journées qui se résumaient à peu de chose. Cela faisait maintenait 4 longues semaines qu'elle tournait en rond dans sa petite chambre. Son univers se réduisait à un lit, une table, une armoire et un cabinet de toilette. Cette simplicité ne la dérangeait pas, elle avait appris à vivre modestement. Ce dont elle souffrait le plus était de ne pas avoir de fenêtre donnant sur l'extérieur. L'absence de lumière naturelle altérait son moral. Léa avait vécu 16 ans à la campagne au contact permanent de la nature et elle se retrouvait confinée dans un espace réduit, éclairé seulement par la lumière d'un néon. Elle avait demandé plusieurs fois au docteur Joseph la permission de l'accompagner à l'extérieur. Il avait toujours refusé en prétextant que c'était trop dangereux. Elle avait insisté en lui disant qu'avec une combinaison de protection, elle ne craignait rien, ni pour elle, ni pour les autres. Le docteur Joseph s'était contenté d'une formule lapidaire de refus et avait coupé court à la conversation. Elle était revenue plusieurs fois à la charge et il l'avait écarté par une fin de non-recevoir. Elle avait fini par comprendre qu'elle était prisonnière dans sa chambre, comme les rats étaient prisonniers de leurs cages. Elle s'était résignée. Quand elle se sentait bien, elle aimait croire qu'elle était le seul espoir des hommes et que ce virus était un don de Dieu et quand elle sombrait dans le désespoir, elle pensait que Dieu se servait d'elle pour punir les hommes qui s'étaient laissés pervertir par les facilités du monde moderne. La paresse, la luxure, l'égoïsme, la violence gangrenaient la société. Tous ces vices étaient à l'opposé des valeurs que sa famille lui avait inculquées : l'effort, la modestie, la compassion. Elle ruminait ses pensées et se laissait emporter par la colère. Elle se calmait en sautant à la corde. De longues douches froides et la lecture de la bible lui permettaient de retrouver un peu de sérénité. Mais les journées restaient longues et ennuyeuses. Et les nuits l'étaient encore plus.

Le docteur Joseph arrivait tôt le matin et apportait le petit déjeuner. Il se mettait ensuite rapidement au travail. Léa l'observait. Il manipulait des tubes à essai, faisait tourner des centrifugeuses, avait toujours un œil sur son microscope. Il parlait peu. Le docteur Meade le rejoignait vers 13H. Il lui apportait son plateau repas. Le docteur Joseph mangeait en rédigeant ses notes. Le docteur Meade partageait ses repas avec Léa. Seule la vitre les séparait. Léa lui parlait de son rôle à la ferme, de ses 6 frères et sœurs, de sa foi en Dieu et de sa passion pour le tissage des Kilts. Le temps de ses conversations, Léa reprenait un peu le goût de vivre. C'est le docteur Meade qui l'informait de la situation extérieure. Les nouvelles n'étaient toujours pas bonnes et, selon ses dires, la situation s'aggravait de jour en jour. Le docteur Meade lui rappelait combien elle était précieuse et qu'il fallait qu'elle soit patiente. Sans elle, il y avait peu d'espoir de trouver un vaccin. Léa essayait de s'en persuader. Chaque jour, elle demandait des nouvelles de sa famille, attendait la venue du docteur Meade pour poser ces questions. Elle l'appréciait. Il était bienveillant et prenait soin d'elle. Le docteur Joseph, en revanche, lui faisait peur. Il était froid et distant et elle avait l'impression qu'elle n'était pour lui qu'une espèce de cobaye qui l'aidait dans ses recherches. Le docteur Meade regrettait de ne pas pouvoir lui apporter des nouvelles rassurantes. Le courrier n'était plus acheminé, les transports interdits et la famille de Léa n'avait pas ni téléphone, ni adresse mail. Il lui annonça que la situation s'était encore durcie et pour lui en apporter la preuve, il lui avait présenté la une d'un journal numérique qui titrait : « ne sortez plus de chez vous ! ». L'article rappelait la liste de sanctions qui étaient prises en cas de désobéissance. Meade avait pris le soin de masquer le jour de la publication qui datait de plus d'un mois. Ces mauvaises nouvelles pesaient sur le moral de Léa. Elle mangeait moins et avait beaucoup maigri. Meade s'en inquiétait. Pour la réconforter, il lui avait apporté des posters de la vie quotidienne des Amish. Cette attention avait beaucoup touché Léa qui s'était empressée de les épingler aux murs. Elle passait beaucoup de temps à les regarder. Elle s'imaginait des histoires en mettant en scène les personnages. Meade aimait passer du temps avec Léa. Il avait appris à la connaître. Elle était simple, naturelle et honnête. C'était aussi une jeune fille très séduisante. Il pensait beaucoup à elle dans la journée et il se réjouissait à l'idée de la rejoindre au labo l'après-midi. Il retardait toujours un peu plus le moment de son départ. Il s'en voulait de tous ces mensonges. Il s'en était entretenu avec le docteur Joseph et avait suggéré de révéler à Léa la vérité sur la situation. Il pensait qu'elle ne supporterait plus très longtemps son enfermement et il craignait le pire. Meade expliquait qu'il avait gagné sa confiance et qu'il pouvait lui faire comprendre ce qu'on attendait d'elle en échange d'un peu de liberté. Joseph refusa. Il avait la certitude qu'on apprendrait tôt ou tard l'existence de Léa. Des questions seraient posées et la vérité éclaterait. Et si la vérité éclatait, il perdrait le contrôle de la situation. Joseph se contenta de lui rappeler le danger que représentait Léa Greenberg. Il était par ailleurs persuadé que ces travaux avançaient et qu'il était proche de découvrir un vaccin. Il était convaincu que Léa retrouverait la liberté dans quelques semaines et qu'elle sortirait de ce labo en étant soignée. Meade en était moins sûr. Tous les derniers tests avaient été des échecs. Le virus semblait avoir muté. Il s'était renforcé. Les rats mouraient de plus en en plus vite.

ToxiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant