chapitre 23

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Le bruit strident du rotor d’un hélico passa au-dessus de la colline. Léa leva la tête. Elle marchait depuis une heure à travers les bois, éclairée à la lueur de la lune. Elle se retourna. Au loin, elle vit l’hélico qui survolait la décharge. Ces puissants projecteurs balayaient les monticules d’ordures. « Il me cherche ! » Pensa Léa. Elle accéléra le pas. La piste devenait de plus en plus étroite et s’était transformée en sentier pierreux qui serpentait dans la colline. Il devenait de plus en plus pentu. Les arbres plus nombreux masquaient la lumière de la lune. Les contours du sentier étaient de moins en moins visibles. Avec ses bottes trop grandes, elle buttait dans les pierres qui barraient le sentier. Le vrombissement de l’hélico s’était estompé puis avait disparu. Léa n’entendait que le bruit de la forêt : craquement des branches, sifflement du vent, ululement des hiboux, cris des coyotes. La vie nocturne battait son plein. Léa s’enfonçait dans la nuit. Son cœur se mit à battre dans sa poitrine. La forêt s’épaississait. Léa avait tous les sens aux aguets. Elle n’avait jamais imaginé que la nuit puisse être aussi sombre. Un bruit sec la fit sursauter. Elle se retourna et vit passer une ombre au-dessus d’elle. Léa poussa un cri de surprise. Prise d’affolement, elle se mit à courir. Sa botte s’accrocha à une racine. Léa perdit l’équilibre et tomba. Elle se redressa d’un bond pour vérifier que personne n’était derrière elle. Son imagination lui jouait des tours. « Je dois me reprendre. » Se dit-elle. A tâtons, dans la pénombre, elle chercha sa botte. Elle sortit du sentier pour casser la branche d’un arbre. Avec ce bâton, elle se sentit rassurée. Elle reprit sa marche. Elle arriva au sommet d’une première colline. Elle avait du mal à reprendre son souffle. Elle repensa à l’hélico. « La police est à mes trousses. » Je dois continuer. Elle repartit. La descente fut encore plus difficile que la montée. Elle ne voyait pas où elle marchait et se tordit les pieds. Elle grimaçait de douleur. Le sentier fit place à une petite route qui l’amena à une aire de pique-nique. Elle s’allongea sur un banc et s’assoupit un instant. Le froid sec de la nuit la saisit. Léa se réveilla en sursaut, secouée par des grelottements. « Quelle heure est-il ? » Se demanda-t-elle. Elle regarda le ciel. Les étoiles brillaient encore dans le ciel sans nuage. « 1h ou 2h du matin. » Elle frissonna. « Je dois me réchauffer en marchant. »  Elle repartit en suivant la route vers le sud. Elle traversa une petite ville endormie. La douceur de sa chambre d’Eatonville lui revint en mémoire. Elle aurait tout donné pour la retrouver et sortir de ce cauchemar qui n’en finissait pas. Un chien aboya. Elle pressa le pas. Des ampoules s’étaient formées à ses pieds à force de frottement. Elle avait de plus en plus de mal à mettre un pied devant l’autre. Le moteur d’une voiture rompit le silence de la nuit. Ses phares trouèrent l’obscurité. Sans réfléchir, Léa plongea dans un fossé qui bordait la route et laissa la voiture passer. Pourquoi avait-elle fait ça ? Pour se protéger sans doute. Elle ne devait pas se faire repérer. Pourtant, elle avait le sentiment que quelque chose avait pris la décision pour elle. C’était un sentiment étrange, indéfinissable, qu’elle attribua à la maladie. Léa se releva avec peine, inspecta les alentours et reprit sa route. Ses pieds la faisaient trop souffrir. Elle s’arrêta sur le bas-côté et enleva ses bottes. Ses pieds étaient en sang. Si elle ne pouvait plus marcher, elle était perdue. Elle ramassa des feuilles et bourra ses bottes avec. Elle les renfila. Ses pieds étaient maintenant bloqués. Elle fit quelques pas. La douleur était toujours présente, peut-être moins. Il fallait qu’elle la supporte. Elle serra les dents. Malgré les supplices qu’elle endurait et la fatigue qu’elle traînait comme un fardeau, une force la poussait à continuer. Cette force avait grandi en elle ces dernières semaines et s’était renforcée après chaque crise. Son corps bouillonnait d’énergie comme s’il était rempli d’un supplément de vie. Elle repartit, quitta la route pour s’engager sur un nouveau sentier. Chaque pas réveillait ses douleurs et le froid la faisait greloter. L’obscurité l’enveloppait complètement. Elle avançait à l’aveuglette sur un chemin qui semblait surgir à chacun de ses pas. Elle se dirigeait à l’instinct. Ses sens étaient mis à rude épreuve. Elle compensait l’absence de vision en étant plus attentive aux bruits de la nuit. Un coyote se mit à hurler. La crainte d’être attaquée par la bête sauvage la saisit. Elle était sûre d’être suivie. Les hurlements semblaient se rapprocher. Elle se retournait souvent, accélérait le pas et fendait la nuit avec son bâton pour chasser des ennemis invisibles. La montée lui parut interminable. Au sommet, l’aube pale pointait. Une légère brume couvrait la vallée. Elle avait marché toute la nuit. Elle ne tenait plus sur ses jambes. Il fallait qu’elle trouve un endroit pour se cacher et se reposer. Le « quelque chose » qui avait pris place en elle lui donna un nouveau regain d’énergie pour avancer. Elle reprit sa marche tel un automate. La brume de la vallée se dissipait, elle pouvait voir les contours d’une ville au bord d’un lac. La température monta rapidement. Les bruits de la nuit s’étaient tus. Le paysage avait changé. Il n’y avait plus autour d’elle que des buissons et des collines pelés. Elle s’engagea sur une piste sablonneuse. La faim et la soif la tiraillaient de nouveau. Elle repensa à la fraîcheur de la bière qu’elle avait bue la veille. L’idée lui assécha encore plus la gorge. Elle chassa l’idée de son esprit et ravala sa salive. Elle marchait de plus en plus lentement. Sa combinaison lui collait à la peau. Elle sentait des gouttes de sueur rouler sur son dos. Elle tira la fermeture de sa combinaison pour laisser passer un peu d’air. Une croûte molle et jaunâtre couvrait sa poitrine et son ventre. Les écorchures s’étaient infectées au contact des pourritures de la décharge. « Du pus ». Se dit-t-elle écoeurée.  Elle s’assit au bord du chemin. Elle n’avait qu’une envie, s’allonger à même le sol et dormir. Elle resta un long moment sans bouger, hébétée. Elle se releva. Ses pieds étaient en feu, ses cuisses congestionnées, ses reins la lançaient. Elle ne savait pas quelle position prendre pour éviter ses souffrances. Les bras ballants, la bouche à demi ouverte, elle se remit en  marche en traînant des pieds.

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