Le camion roulait par à-coups. Il s'arrêtait régulièrement et repartait. Léa ne savait ni où elle était ni où elle allait. Sur l'instant, elle ne s'en souciait pas. Elle se contenait de regarder le bleu du ciel et de respirer l'air chaud de cette fin d'été. Elle était libre. Un coup de frein appuyé tassa les sacs de gravats qui s'écrasèrent sur son dos. La douleur lui arracha un cri et la sortit de sa rêverie. Elle était libre mais en danger.
« Je veux vivre. Se répéta-t-elle. Je ne veux plus être un rat de laboratoire pour qui que ce soit. Je veux être libre. Aller vers le sud, passer au Mexique et après... »
Le « après » était une feuille blanche. Elle essaya de l'imaginer mais elle n'y arrivait pas. Son avenir, pour le moment, s'arrêtait au franchissement de la frontière. Il fallait qu'elle se concentre uniquement sur cet objectif. Elle n'entendait plus les roulis et les klaxons des voitures. Le camion était sorti de la ville et roulait à vive allure. Il ralentit et s'arrêta. Le chauffeur discutait avec quelqu'un mais le bruit du moteur empêchait Léa d'entendre la conversation. Le camion redémarra. Léa fut à nouveau bousculée par un sac de gravats. Le contenu de la benne bascula de droite à gauche et fut secoué par à-coups. Léa essayait de maintenir les sacs autour d'elle pour éviter de se faire blesser par les chocs successifs. Le camion s'arrêta à nouveau et fit une manœuvre. Elle entendit le moteur rugir. Le camion recula brutalement. Une pierre contendante vint s'enfoncer dans les côtes de Léa qui fit un bond sur le côté. Elle se cogna à un autre sac et s'écorcha le bras. Le hayon du camion s'ouvrit. La benne se souleva. Léa n'avait pas pensé à ça. Les sacs commençaient à glisser. Léa ne savait pas quoi faire. Elle essaya de se maintenir debout en remontant vers le haut de la benne qui s'inclinait de plus en plus, accélérant la chute des sacs. Léa, prise de panique, hurla pour se faire entendre du chauffeur. C'était trop tard. Elle perdit l'équilibre et glissa avec d'autres sacs. Elle tomba lourdement sur un tapis de pierres, fit plusieurs roulé-boulé et atterrit au fond d'un ravin. Elle se protégea la tête pour éviter les derniers éboulis. Elle essaya de se relever mais la douleur la cloua au sol. Elle resta allongée face contre terre. Elle était un gravats parmi les gravats. Elle remua les doigts de sa main droite puis de sa main gauche. Ils fonctionnaient. La douleur la plus vivre venait de sa poitrine. Elle bascula sur le dos. Son haut de pyjama était déchiré. Ses seins, son ventre étaient griffés à sang par les pierres. Elle rabattit les pans de sa veste comme elle put. Le contact du tissu sur la peau la fit grimacer. Elle se mit sur le côté et replia ses jambes sur son ventre. Elle avait mal partout mais se réjouissait de n'avoir rien de cassé.
