Chapitre n°5

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La deuxième nuit de Léa au « Royal Lancaster Infirmary » fut courte. Les rotors d'un hélicoptère CH47 qui atterrissait la réveillèrent. Des militaires équipés de combinaison de protection sortirent de l'appareil et déchargèrent des caisses de matériel. L'hélico redécolla, un autre prit sa place. De la fenêtre de sa chambre, Léa observait les allers-retours qui durèrent une partie de la matinée. Elle ne réalisait toujours pas ce qui lui arrivait et ne comprenait pas ce qui se passait à l'extérieur. Elle n'avait vu personne depuis la venue du jeune interne et elle n'avait pas osé sortir de sa chambre. Une profonde angoisse l'étreignait et l'empêchait d'agir et de réfléchir. Elle se recoucha et récita des prières.

Les militaires avaient établi un cordon sanitaire autour de l'hôpital. Les patients et le personnel médical avaient pour consigne de ne pas en sortir. Le vaccin contre la grippe saisonnière leur était administré. De plus en plus de personnes se présentaient à l'hôpital. Elles étaient dirigées vers les tentes militaires installées dernière l'hôpital. Le flot grossissait d'heure en heure. Les morts étaient chargés à l'arrière de camions militaires et envoyés en dehors de la ville.

Le colonel Ronald Remington fut accueilli par Peter Albright, le directeur de l'hôpital. Les salutations furent brèves et le colonel demanda un débriefing immédiat. Le directeur s'assit à son bureau. Il était pâle, les yeux rougis de fatigue et de fréquentes quintes de toux interrompaient leurs échanges.
- Excusez-moi, dit le directeur en portant un mouchoir à son visage. Les premiers décès remontent à 15 heures environ. Une infirmière de nuit a été retrouvée sans connaissance en salle de repos vers 13H et puis plusieurs patients sont morts quelques heures plus tard dans les mêmes conditions. De nombreuses personnes sont venues aux urgences. Elles présentaient les mêmes symptômes. Nous avons tout d'abord pensé à la méningite. Tous les symptômes étaient présents : maux de tête, forte fièvre, raideur à la nuque. Et puis nous avons constaté que beaucoup de patients toussaient. Nous pensons plutôt avoir affaire à une grippe mortelle très contagieuse. Depuis 15 heures, nous comptons 160 décès. Je pense que la totalité de l'hôpital est contaminée. Le colonel réfléchissait. Il faisait les cent pas dans le bureau.
- Vous êtes-vous même contaminé ? Interrogea Remington dont la voix était étouffée par un masque de protection.
A la question, Peter Albright sembla se rendre compte de sa propre situation. Il toussa et répondit sans hésitation :
- Oui
Leurs regards se croisèrent. Ils comprirent tous les 2 ce que ça voulait dire.
Remington hésita un instant et reprit :
-Avez-vous lancé le protocole d'investigation d'une épidémie ? Avez-vous cherché le cas index ?
Peter Albright eut une longue toux. Son mouchoir était taché de sang. Son front était perlé des gouttes de sueur.
- Oui, j'ai lancé le protocole à 18 heures. Pour le cas index, nous n'en sommes pas tout à fait sûr. Reprit-il difficilement. Une jeune fille a été hospitalisée après un accident il y a 2 jours. Elle était très désorientée et fiévreuse. Elle délirait et disait que toute sa famille était morte. Nous l'avons mis sous sédatif et nous avons prévenu la police. C'est seulement hier après-midi que nous avons appris que 38 membres d'une communauté Amish avaient été retrouvés morts sans qu'on sache pourquoi. La jeune fille faisait partie de cette communauté. Les autopsies ont révélé que ces personnes sont mortes des mêmes symptômes que celles qui sont mortes à l'hôpital.
- Et cette jeune fille, où est-elle maintenant ? Elle est morte, je suppose. Demanda Remington sans illusion.
- Je n'en suis pas sûr. Répondit Peter Albright.

C'est quatre à quatre que le colonel Remington et 2 militaires montèrent les marches de l'escalier pour aller au 2ème étage de l'hôpital. Ils entrèrent précipitamment dans la chambre de Léa qui poussa un cri de surprise en voyant les trois hommes en combinaison s'approcher d'elle.
- Etes-vous Léa Greenberg ? Demanda la voix sourde du militaire.
- Oui. Répondit Léa apeurée
- Comment vous sentez-vous ? Enchaîna le militaire
- Ça va ! Ça va mieux, je crois !
- Très bien alors. Suivez-nous ! Ordonna le colonel Remington
Léa s'exécuta sans rien dire. Une bouffée d'angoisse l'envahit à nouveau. Un militaire lui ordonna de mettre un masque de protection et de le suivre. Les couloirs étaient vides. Seuls des militaires semblaient être présents dans l'hôpital.
- Que se passe-t-il ? Chercha à savoir Léa.
Le colonel Remington ne lui répondit pas et ne chercha pas à la rassurer. Il pressa le pas.
Ils entrèrent dans un bloc.
- Arrêtez tout ce que vous faites ! Nous avons besoin de ce bloc maintenant. Ordonna le militaire en s'adressant au personnel médical. Avant même qu'elle ne puisse réagir, des militaires qui accompagnaient Remington, déshabillèrent Léa, l'aidèrent à s'allonger sur une table de soins et la couvrirent d'une couverture. Léa avait l'impression de ne plus s'appartenir. Son esprit était détaché de son corps. Elle se laissait faire. Aveuglée par l'éclairage scialytique qu'un militaire orienta sur elle, Léa voyait des formes s'agiter au-dessus d'elle. Elle ferma les yeux et s'enfuit. Elle imagina assembler « un quilt au diamant » avec sa mère. Sa mère lui rappelait des passages de la bible. - Voici, je mets en Sion une pierre angulaire précieuse et celui qui croit en elle ne sera point confus. »
Léa sentit à peine l'aiguille qu'on piqua dans son bras pour lui prélever du sang, Elle cracha dans un pot stérile, écarta les jambes pour un prélèvement génital, urina dans un bassin. Tout semblait aller très vite. Léa se pliait aux demandes des médecins sans difficulté. Ils représentaient la vie et elle avait accepté de leur confier la sienne sans aucune retenue.
- Léa, vous m'entendez, Léa ? La voix d'une infirmière sortit Léa de sa torpeur. Nous allons devoir vous faire un prélèvement du liquide céphalo-rachidien. Ça va être douloureux. Léa se mit sur le côté et replia ses genoux sur sa poitrine. Elle hurla de douleur quand l'aiguille s'enfonça entre ses vertèbres lombaires. La douleur lui fit l'effet d'un électrochoc. La réalité dure et glacée s'imposait à elle. Elle était prise dans un tourbillon qui la dépassait complètement. Elle devait trouver de la force et du courage pour affronter les épreuves qui l'attendaient. Elle serra les dents et pria. « Mon Dieu, mon Dieu j'ai peur, j'ai peur, mon Dieu. Fortifie mon cœur, seigneur éternel. Fortifie mon cœur de pauvre enfant comme tu as fortifié celui de ton fils au moment de la crucifixion ».
Le médecin déposa les prélèvements dans un caisson et s'envola à la demande de Remington pour le centre de virologie d'Irvine en Californie. Léa continuait à prier quand Remington reprit ces questions.
- Léa, savez-vous ce qui s'est passé à Lime Valley ?
- Non, je ne sais pas. Je me suis levée et ils étaient tous morts. Léa s'arrêta un instant et se retourna avec difficulté pour regarder le visage de Remington
- Ils sont tous morts, n'est-ce pas ? » Demanda-t-elle sans se faire d'illusion. Remington hésita un instant et se résolut à lui dire la simple vérité sans prendre les formes. Léa ferma les yeux pour s'extraire du cauchemar qu'elle vivait.
- Pourquoi je suis encore en vie ? »
- Nous n'en savons rien. La seule chose que nous savons c'est que nous sommes confrontés à une maladie mortelle qui se propage très vite et que vous êtes encore la seule personne en vie alors que vous avez été infectée. C'est pour ça que nous avons besoin de vous.
-Pouvez-vous prévenir mes parents que je suis encore en vie ? Ils vivent près d'Eatonville dans l'état du Washington. Implora Léa.
- On le fera dès que possible. Se contenta de répondre Remington.
- Maintenant, racontez-moi précisément ce qui s'est passé !
Léa rassembla ses esprits et raconta une nouvelle fois ses 48 dernières heures.

ToxiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant